Le joyau de Luuwr

Entre le jeune homme qu'elle poursuivait et Erlyn, il y avait un point commun: ils se faisaient aussi discret l'un que l'autre. Ce n'était sans doute même pas volontaire, mais elle ne l'avait en tout cas pas vu arriver. Ce fut donc avec un certain étonnement qu'elle lui répondit, tout en se disant qu'il était étrange qu'il se dirige vers la sortie de Rednow, seul.

-Je suivais Llednar, annonça-t-elle, mais il est bien trop rapide. Snori et les autres disent vouloir partir, alors je venais le chercher.

Au moment où elle prononçais ces mots, le principal intéressé jaillit du coiffeur chez qui il se trouvait, et avança vers ses camarades, surpris de les voir ici. La rouquine le regarda avancer vers eux avec des yeux exorbités, pointant du doigt successivement son ami et la direction empruntée par l'homme sautant de toit en toit. Elle s'était trompé. Décidément, elle enchaînait les erreurs. Baissant les bras, elle se laissa tomber sur un banc, posant sa tête sur ses deux poings fermés.

-On nous attend à l'ambassade.

Le pauvre rôdeur, à peine arrivé, devait se confronter aux sauts d'humeur de cette grande épéiste, ou plutôt de la morveuse. Sans vraiment se poser de question, il lui lança juste un regard désabusé, puis la suivit durant quelques minutes à travers les rues de la cité. Ils avaient invités Erlyn a venir avec eux, mais la décision ne revenait qu'à lui. Après tout, depuis le début, il agissait en loup solitaire, alors ça n'allait surement pas changer d'un jour à l'autre. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous réunis dans les couloirs, dont ils bloquaient l'accès. Au centre du cercle qui se formait, Snori et Melody étaient face l'un à l'autre. Nora ou Rednow. L'heure de prendre sa décision arrivait, entraînant avec elle la fin de cette grande épopée.

Regardant Snori un instant, Melody se décida à prendre la parole. Elle ne savait pas si il était légitime qu'elle le fasse, après sa longue absence, mais elle le ferait tout de même. Leur voyage touchait à sa fin...

- Mes amis, le Prince m'a annoncé tout à l'heure qu'il comptait partir de Rednow pour retrouver sa patrie. Avec cette nouvelle, je pense qu'il est temps d'officialiser les choses. En votre compagnie, j'ai découvert bien des choses, j'ai beaucoup changé, de par les épreuves que nous avons rencontré, et de part votre manière d'être à vous tous ici présent. Malheureusement, toute chose a une fin. En ces temps troublés, le petit comité que nous formions n'a plus d'utilité, ayant accompli son devoir. Chacun d'entre vous nous as permis de réaliser notre but, et je pense que notre quête était déterminante pour le reste de la guerre. Elle montre qu'unis sur un même but, Oraniens, Nailikans, et Luuwriens, nous pouvons accomplir de nombreuses choses. Je déclare dès maintenant que notre communauté est dissoute. Mais ne soyez pas tristes, car si le vent nous écartera les uns des autres, je suis sur que nous nous reverrons tous un jour ou l'autre, quand cette maudite guerre sera finie! Certains d'entre vous suivent le prince dans sa demeure. D'autres retourneront peut être dans l'ombre jusqu'à ce que nous ayons triomphés! Quant à moi, je vais rester ici, fidèle à mon poste et repoussant l'envahisseur! Merci à vous!

Cessant de parler, la jeune femme sortit du cercle d'auditeurs. Elle avait été ravie de s'exprimer aussi sincèrement. Elle l'aurait été encore d'avantage si Belwur n'avait cessé de faire des signes vulgaires en direction de Nigfol. Elle avait eu vite fait de retirer un des deux gants, sans prêter attention au démon. La querelle des deux artéfacts était ridicule. Et dire qu'ils jouaient un rôle centrale dans cette guerre...

Quelles que soient les ambitions de chacun, le discours de Melody avait forcément touché tout le monde d'une façon ou d'une autre. On ne pouvait que souligner la justesse de ses propos quand elle parlait de cette aventure partagée, des différentes nationalités, des choses accomplies ensemble. Voilà l'essentiel. Peu importe leurs actes, ils agissaient ensemble. Main dans la main, ils avaient traversés Hovo, surpassés les Monts Pourpres, vaincu les Ombres, s'étaient infiltrés en territoire nailikan, puis étaient venus à bout d'un artéfact de seconde forme. Qui, individuellement, pouvait se vanter d'avoir été meilleur qu'un autre? Personne. Certes, leurs voies se séparaient, mais une petite flamme brûlerait toujours au fond de leur être, désormais qu'ils possédaient l'âme d'un aventurier. Snori le premier applaudit son amie, puis les autres suivirent, avec entrain. Le prince demanda ensuite le calme, puis pris la parole à son tour.

-Aujourd'hui, nous entamons l'ultime ligne droite. Dans peu de temps, nous serrons de retour chez nous, enfin en paix. C'est une grande tristesse que de stopper notre parcours collectif aujourd'hui, mais il n'y a rien à regretter, vraiment. De toute façon, Melody a raison, nous nous recroiserons sans doute, à bien des reprises. Il s'agit désormais de savoir qui, à ce stade, viendra à Nora, qui restera ici, et qui partira vers ses propres horizons. En fait, si j'y réfléchis bien, je crois que je pourrais vous ordonner à tous de faire ce que je veux...

Même si ce n'était qu'une simple boutade, il avait raison. En tant que prince de l'Oran, il avait officiellement l'autorité sur toutes les personnes présentes ici, les soldats luuwriens et Irwan y compris. Certes, il se doutait bien que s'il commençait à jouer au quémandeur il se ferrait martyriser, mais tout de même. Son éternel sourire restait figé sur son doux visage, ayant encore quelques traits enfantins de par sa candeur. Riant probablement seul de sa petite plaisanterie, il reprit:

-Bon, plus sérieusement. Que ceux qui désirent venir à Nora avec moi lèvent la main.

Les bras de Zia, Llednar et Irwan se levèrent presque instantanément. Snori ne put retenir un mouvement de surprise en apprenant si soudainement que le rôdeur revenait avec eux vers leur point de départ, mais se dit que de toute façon, retourner aux états centraux était pour lui bien trop dangereux. Comme toujours, il devait avoir ses raisons, et les exposerait plus tard. Il faudrait, avant de partir, prévenir Théodore. Ce haut gradé leur avait proposé de les raccompagner, hors lui poser un lapin n'était pas très poli.

Les décisions des gardiens d'Erlyn furent pour le moins étonnante. Dans l'esprit de Snori, ils formaient une troupe parfaitement soudée, inséparable, dont l'unité faisait la force. Pourtant, ils allaient à présent se séparer, décidant finalement individuellement de leurs destins respectifs. Ilyanna restait donc à Rednow, avec Melody, pour rejoindre l'armée où elle s'était engagée quelques jours auparavant. Bartiméus ne s'exprimait pas encore, mais le prince pouvait aisément deviner qu'il suivrait sa supérieure, comme il le faisait depuis toujours. Pendant que certains levaient une main, le silence s'installait, avec un certain mal-être. Ce moment endolorissait le cœur de chacun, quoiqu'ils puissent en dire.

-Je vais préparer mes affaires, annonça Zia avant de rentrer dans sa chambre.

Elle fit quelques aller-retour du lit aux armoires, fourrant au fond d'un grand sac le peu de choses lui appartenant. Mine de rien, même si elle avait été insupportable à bien des occurrences, Melody lui manquerait sans doute. Lors de leur aventure, elle avait toujours été une véritable protectrice pour eux tous, et elle avait entrevu à Celsthe une toute autre partie de sa personnalité. Le moment qu'elles partagèrent ne dura quelques secondes ce jour-ci, pourtant cela suffit pour que la capitaine lui inspire une certaine sympathie. De toute façon, elle ne tarderait pas à venir leur rendre visite, se dit-elle, résignée. Suivant son exemple, Llednar et Irwan se rendirent dans leurs loges pour prendre le strict nécessaire. Pour l'historien, cela s'étendait jusqu'à une vingtaine d'ouvrages inédits, trouvés dans la bibliothèque de la cité fluviale. Le prince, appuyé sur un mur, observait ceux encore indécis, avec un sourire mi-figue mi-raisin.

-Alors, Laly, Bartiméus? Que faites-vous?

La révulseuse lui avait déjà confirmé quelques dizaines de minutes auparavant qu'elle les accompagnerait, mais la faire répéter était une manière d'annoncer officiellement les choses à Melody, elle aussi dirigeante de l'expédition. Quoiqu'il en soit, Snori était heureux qu'Oloren vienne avec eux. Depuis quelques temps, ils ne se parlaient plus vraiment, ne retrouvaient pas cette relation autrefois amusante. Il espérait qu'au retour à leur point de départ, tout redevienne comme avant à ce niveau-ci.

Laly, assise sur le bord d'un fauteuil , avait écouté d'une oreille distraite les discours divers et variés. Dans son comportement se dégageait une nonchalance certaine, si bien même que chacun aurait pu croire à un total désintérêt de la situation. La jeune femme, hâtive de rejoindre Nora, n'eut même pas besoin de retourner dans sa chambre. L'artéfact remis à son poignet, la dague dans ses chaussures et son arc contre le mur : elle n'avait besoin de rien d'autre. En partant d'ici, elle laissait derrière elle ses anciens effets personnels, ses vêtements usés et tout ce qui l'avait plus encombré qu'aidé lors de cette quête. Tandis qu'elle ignorait les déboires et autres prises de bec de Nigfol avec Belwur, elle répondit au prince :

- Bien sûr que je viens ! dit-elle sans cacher son engouement.

Levant les yeux au ciel, en signe de réflexion intense, elle se tourna vers ses compagnons encore présents.

- Nous partons toujours sur le navire de Théodore ? Je ne veux pas avoir l'air pressante ou mal polie, mais je pense que plus vite nous serons partis, et mieux ce sera .

Roche hocha la tête. Il avait déjà reçu ses instructions. Il partait dans deux jours pour le front. L'armée Luuwrienne reculait d'avantage chaque jour, et tous les soldats disponibles étaient réquisitionnés. Un guérisseur ne serait certainement pas de trop là bas.

- Moi, je part sur le terrain dans peu de temps. J'ai apprécié votre compagnie, mais le devoir m'appelle. J'espère que nous nous reverrons.

- Si tôt, Tim? Je suis désolée pour toi... affirma Melody, peinée.

Roche se contenta d'acquiescer, puis s'éloigna. Il n'aimait guère les adieux larmoyants. Il se décida d'aller flâner tout seul dans les rues de Rednow. Sortant de l'ambassade, il croisa Shackebolt, qui semblait en pleine réflexion. Il ne se posa pas de question, continuant son chemin. Il fallait profiter au mieux du temps qui lui restait.

L'agent de Luuwr se manifesta peu de temps après que Roche ne soit parti. Il était d'abord allé se renseigner à ses hommes sur les activités du groupe. Shackebolt observa le petit groupe massé dans le couloir.

- Alors, vous partez bientôt? Ma proposition tient toujours, quant à venir sur "l'épervier"? Melody, bien sur, vous venez avec nous!

- Ah? répondit la capitaine, surprise et mitigée face à cette nouvelle.

- Oui, bien sur! Après tout, vous êtes une des deux dirigeants de cette mission! Kunz Pendragon veut sans doute entendre votre rapport!

La politique, toujours... Melody était convaincue que quelque chose se cachait derrière la requête de Théodore Shackebolt. Mais elle n'avait de toute façon pas le choix, et se réjouissait un peu de rester plus de temps avec ses amis!

L'annonce de Roche résonna comme un véritable coup de tonnerre. Un soldat, même aussi bon que Bartiméus, n'avait que peu de chances de revenir du front en y partant à un endroit si dangereux. Il ne s'agissait pas de défendre une ville, mais certainement une frontière. Lors des raids, Nailika ne faisait que des prisonniers, mais la donne était largement différente quand il s'agissait de conflits armés. Le prince aurait désiré pouvoir lui parler un peu plus. Lorsque son camarade quitta la pièce sans le moindre préavis, il en fut légèrement blessé, vexé, mais comprenait et respectait sa décision. Il avait sans doute besoin de passer à autre chose. Peu à peu, le climat des adieux retombait. Les discours se terminaient, chacun prenait sagement sa décision, se reposait, profitait encore un peu de Rednow. Alors que Snori comptait faire de même, Théodore fit son arrivée. Ce n'était ni le moment propice, ni les bonnes paroles. En tant que futur seigneur de l'Oran, le prince avait des pouvoirs, dont il allait se servir pour la première fois. Il s'adressa au luuwrien sans la moindre sympathie.

-Nous repartirons de notre côté, Théodore. Quant à mademoiselle Jennsen, elle ne répond qu'aux ordres de Luuwr, et en aucun cas à ceux de Nora. Je ne vous laisserais pas, en tout cas, parler au nom de mon oncle. Melody décidera seule de ce qu'elle compte faire, comme chacun d'entre nous.

Ce genre d’occurrences étaient rares, mais quand quelque chose déplaisait à Snori, il devenait un véritable tigre. Néanmoins, il fit cette fois-ci preuve d'un grand calme. Plutôt que de ternir sa réputation en se mettant leur interlocuteur à dos, il reprit son sourire, et s'adressa à l'ensemble de ses camarades:

-Bon, et si nous allions fêter notre départ à un bon restaurant, histoire de partager quelque chose tous ensemble avant de nous séparer?

Un sourire se dessina sur le visage de Laly : elle rêvait d'un repas gargantuesque, pour une fois. Restreinte depuis des mois, et ce malgré un petit appétit, une joie indescriptible se fit ressentir en son être. Avec une motivation assez inattendue dans l'intonation de sa voix, elle s'exclama :

- Excellente idée !

En plein coeur de Rednow, les anciens camarades s'étaient retrouvés dans un restaurant fort sympathique, à la décoration boisée et ruisselante. Un joyeux tintamarre résonnait dans toute la salle, de part des cris de la cuisine, des rires à foison et de la vaisselle brisée. Autour d'une table ronde, chacun retraçait plus ou moins son parcours dans l'aventure, remémorant uniquement les souvenirs heureux. Même si certains drames, comme la mort de Jin, n'avaient laissé personne indifférent, c'était avant tout un repas heureux. Place à la fête, aux franches parties de rigolade et à une cohésion amicale presque inédite. Au bout de quelques minutes, une petite femme d'une trentaine d'années s'approcha de la tablée, les cheveux blonds relevés en un chignon négligé, et portait un tablier blanc tâché par-dessus une jupe noire. Même si une certaine fatigue se lisait sur son visage ainsi qu'un sentiment de lassitude exacerbé, il était évident qu'elle avait été une femme absolument splendide et rayonnante. Parlant assez fort pour se faire entendre, elle demanda :

- Qu'est-ce que je vous sers ?

Alix, qui faisait également partie de cette sortie, eut un petit rire nerveux. Elle avait hésité pendant un court instant à demander un plat du four, mais elle partait du principe qu'elle n'avait pas vraiment le droit et l'envie de faire deux fois la même blague. Surtout que la première fois, elle ne l'avait pas vraiment fait exprès.

- Une choppe d'hydromel pour chacun d'entre nous! s’exclama Melody, heureuse de devoir décaler les aurevoirs à quelques jours, bien qu'elle sache totalement pour quelles raisons elle accompagnait, bien que Shackebolt ne lui ait rien dit... Décidée à oublier tous ses problèmes, elle et Zia embêtaient le prince quant à sa manière si distinguée de manger du poulet, alors que ces gentes dames ne s'enquiquinaient pas avec les bonnes manières. Elle ne se souvenait pas avoir autant ri de toute sa vie. C'est les larmes aux yeux qu'elle avait redemandé une tournée générale à la serveuse.

Belwur, quant à lui, avait décidé de se lancer dans une grande conversation théologique sur l'existence d'un ou de plusieurs dieux gouvernant la terre avec Irwan. Lorsqu'il ne se comportait pas comme un pervers sociopathe, l'artéfact démontrait qu'il pouvait suivre une conversation intellectuelle. Si on pouvait appeler ça ainsi, tant le vieux scientifique le harcelait de questions qu'il détournait par ses théories farfelues sur la genèse humaine...

Théodore Shackebolt était resté pantois face à la déclaration de Snori. Il n'avait aucune idée de la raison pour laquelle le prince avait réagi de la sorte, mais qu'importe. Cela ne changeait finalement pas grand chose à la situation. Il partirait pour Nora dans son navire, seul ou accompagné. Il avait d'ailleurs insisté auprès de Melody pour que celle ci parte avec eux. Et qu'elle le tienne au courant de tous les agissements de ses amis. Chose qu'elle ne ferait absolument pas, il s'en doutait. Les compagnons d'armes étaient quelque chose de sacré pour elle...

Sans se soucier de la guerre menaçant à chaque minute des vies innocentes, ils festoyaient. La pauvre servante, débordée par leurs commandes successives, sans doute embarrassée par le bruit qu'ils faisaient. Cela n'avait aucune importance à leurs yeux. Snori, partagé entre ses bonnes manières et son envie de clouer le bec de ses amies, ne savait pas vraiment comment réagir, ce qui le rendait euphorique. Mine de rien, en tant qu'aîné de cette petite troupe, Irwan mis à part, il se sentait vraiment protecteur envers eux tous. Voir les plus bougons s'amuser comme des enfants constituait déjà un véritable bonheur. Depuis combien de temps étaient-ils là? Dix minutes, deux heures? La notion du temps disparaissait tranquillement, laissant place à cet ultime moment d'une joie sans précédente.

Llednar, bien que parfaitement intégré au groupe, ne pouvait s’empêcher de penser à Nino de temps à autres. Il avait tout fait pour la sauver, quitte à risquer sa vie plusieurs fois, et c'était maintenant qu'elle était morte qu'il s'épanouissait enfin. Un traître, il ne valait pas plus que ça. Pourtant, lorsque Zia lui fit une remarque moqueuse sur sa nouvelle coiffure, il ne put s’empêcher de répliquer que lui au moins n'e transportait pas une couverture sur le crâne. Il avait des problèmes de conscience, mais cela ne lui empêcherais pas de profiter de sa nouvelle vie. Il aurait beaucoup de choses à demander à Snori une fois arrivés à Nora. Alors qu'ils reprenaient tous leurs plaisanteries douteuses et que l'alcool commençait à se faire légèrement trop abondant, Annelle vint se présenter à eux.

-Messieurs, mesdames, mesdemoiselles, le navire que vous aviez demandé est prêt à prendre le large.

Irwan et le prince avaient effectivement chargés l'ambassadrice de leur trouver une embarcation, ce qu'elle avait réussi à faire avec une vitesse remarquable. Bien obligé de mettre fin aux réjouissances, Snori annonça qu'il paierait, puis se dirigea vers le comptoir, tandis que les autres vidaient progressivement la salle. Lorsqu'ils furent tous dehors, leur chef s'adressa à eux une fois de plus.

-Bon, eh bien, il est temps pour chacun de préparer ses affaires. Melody, tu es sûre de ton choix, tu restes ici?

Zia poussa un léger soupir en comprenant qu'ils devraient encore retourner à l'ambassade, alors qu'elle était prête. Ils auraient pu faire quelque chose de bien plus intéressant en attendant. Plutôt que de faire le chemin inverse, elle préférait aller directement vers le port, quitte à se balader un certain temps avant. La main calée par dessus l'épaule, maintenant son sac, elle annonça:

-On se rejoins là-bas en tout cas!

Elle partit donc, espérait mine de rien que quelqu'un ait la bonne idée de la suivre.

Les compagnons festoyaient encore que l'épervier naviguait déjà en route vers Nora, transportant Shackebolt, et plusieurs haut dignitaires et militaires Luuwriens. Une grande réunion était prévue avec les autorités Oraniennes quant à l'avenir de la guerre. Les choses allaient mal, et il fallait prendre des décisions importantes si ils ne voulaient pas être submergés. Les cheveux dans le vent, Théodore réfléchissait à l'avenir. Que faudrait il faire si ils étaient battus? Avouer la suprématie de Nailika? Ou alors se cacher, et préparer la révolte coûte que coûte? Enfin, il ne fallait pas penser à la défaite maintenant! Ils venaient de récupérer un puissant artéfact, et leurs connaissances sur ces objets mythiques venait de faire un bond en avant! Belwur et Nigfol avaient sans aucun doute un rôle crucial à jouer. L'avenir leur montrerait!

Melody avait embarqué à bord d'un grand navire marchand avec quelques uns de ses compagnons. Les autres étaient partis chercher leurs affaires, ou vaquaient à d'autres activités, profitant de Rednow une dernière fois avant de partir. La capitaine avait été surprise par la question de Snori. N'avait il pas entendu les propos de Shackebolt. Elle partait avec eux, lui avait elle expliqué. Elle ne lui avait pas caché non plus que son supérieur voulait des informations sur le groupe entier, et qu'il avait été vexé par l'attitude du prince. De là où elle se trouvait, Melody pouvait apercevoir la pointe de la cathédrale de Rednow, le centre administratif et commercial de la ville. Elle n'y était même pas allée, pendant ce séjour. Petite, elle se souvint que ce lieu était pour elle empreint d'émotion, et même de mysticisme. Aujourd'hui, elle considérait que c'était un lieu barbant, rempli de fonctionnaires horripilants... C'en était devenu bien triste... Elle se dit que Roche devait s'y trouver, observant émerveillé la beauté de la cathédrale et de ses environs...

Quand Oloren la rejoignit, Zia se sentit profondément réconfortée. Elle qui pensait que son amie lui en voulait pour elle ne savait trop quelle raison, le fait de l'entendre lui parler de nouveau lui plaisait beaucoup. Mine de rien, la question demandait une certaine réflexion. Nora. Elle n'y avait mis les pieds que deux jours en tout et pour tout, alors elle ne pouvait pas vraiment prétendre être heureuse d'y retourner. Non, l'important, c'était de suivre Snori. Que ce soit au fin fond d'Hovo ou dans une des plus riches métropoles du monde, tout irait bien du moment qu'il était là. Elle lui avait demandé comment s'organiserait le petit groupe une fois sur place, mais il avait refusé de lui répondre. Il restait donc une certaine part de mystère.

-Je me demande ce qu'on y ferra, mais de toute façon ce sera toujours mieux qu'ici. Rednow est chiaaaaaaaante!

Un courant d'air frais vint la faire frissonner. Elle ferma rapidement son manteau, puis lança un regard tinté de défi à sa camarade. Une ballade dans la cité fluviale, aussi belle soit-elle, restait ennuyeuse; alors autant ajouter une petite part d'amusement. Elle sauta d'un coup sur le toit, puis regarda la fonceuse d'en haut, avec un petit rire. Avant de disparaître, elle lui lança:

-La dernière arrivée au port!

Snori faisait le tour de leur navire. Il n'était pas bien plus gros que celui qu'ils avaient pris à Celsthe, mais avait tout de même l'air autrement plus rapide et résistant. Il ne restait plus qu'à prier pour qu'ils ne croisent pas de dragon-mégalodon pendant le voyage, car Lev ne pourrait pas les sauver cette fois-ci! Quoique...n'était-ce pas la bête maritime qui avait failli vaincre l'aigle? Le prince ne se souvenait plus vraiment comment tout cela s'était passé, à l'époque. S'adossant aux rambardes, il observa longuement Melody, heureux qu'elle se trouve parmi eux. Il pensait vraiment qu'elle demeurerait à Rednow de son plein gré, mais se satisfaisait pour une fois de son erreur. C'était bête. Il voulait garder une certaine distance vis-à-vis d'elle, mais aurait été déchiré qu'elle les quitte. À vrai dire, depuis le petit incident lors de la fête, il ne savait plus trop ce qu'elle pensait de lui. Arriva alors un homme, enroulé dans une robe d'aristocrate, ayant de longs cheveux noirs en désordre et un bouc assez court. Un fourreau était visible dans son dos, mais aucune lame ne s'y trouvait. Lentement, il se dirigea vers la porteuse de Belwur.

-Melody Jennsen, je suppose? demanda-t-il sans vraiment attendre de réponse. Je suis venu vous apporter deux choses: un message ainsi qu'un présent.

Le prince, à quelques mètres de là, se demandait quel était cet hurluberlu, puis il eut comme un flash: c'était l'homme qu'il avait croisé la veille en entrant dans l'ambassade. L'homme dont la voix lui avait recommandé de ne pas oublier le nom. Comme toujours, il devait lui obéir. Il se contenta donc d'observer ce qui allait se passer, attentif.

-Mon présent est le suivant, veuillez l'accepter.

De ses doigts tremblants, il lui tendait deux anneaux dorés, parsemées de gemmes colorées.

-Il y en a un pour vous et un pour mademoiselle Cabrera, ou devrais-je dire Vrag, ajouta-t-il en baissant la voix.

- J'VAIS GAGNER ! cria-t-elle à Zia.

Melody avait tout de suite remarqué l'homme qui se dirigeait vers elle. C'était un total inconnu pour elle, et elle s'inquiétait déjà de son comportement. Il la regardait d'un air étrange, et portait un fourreau sans épée. L'anneau qu'il lui tendit tomba dans la paume de sa main. Quel objet étrange... Elle n'en avait jamais vu de semblables auparavant. Elle passa de la bague, à l'homme, puis de l'homme à Snori. Le prince observait la scène avec attention... Melody s'en préoccuperait plus tard. Elle regarda de nouveau l'inconnu puis lui demanda :

- Qu'est ce que cela signifie? Quel est cet objet, et quel est votre message, monsieur? Je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontré par le passé...

Belwur apparut à cet instant aux cotés de la capitaine. Il avait bien remarqué que les mains du généreux donateur avaient tremblées lorsqu'il avait offert l'anneau.

- Oui, qu'est ce que cela signifie, mon pote? reprit le démon, un grand sourire carnassier aux lèvres.

Le "pote" en question lança un regard chargé de mépris à Belwur. On ne lui avait dit que du mal de cet artéfact-ci, probablement le plus désagréable de tous. Certes, il était puissant, mais il était incroyablement instable. Melody Jennsen valait bien plus que cela. Elle était, de toute façon, la seule à pouvoir éventuellement dompter la bête intangible. L'homme au bouc observa un instant les deux bijoux que son interlocutrice venait de prendre, puis la fixa droit dans les yeux, avant de répondre:

-Il ne s'agit que de deux anneaux. Mon message est liés à eux. Je parlerais en mon nom, ainsi qu'en celui de mes camarades. Le voici: tant que vous et mademoiselle Cabrera porterez ces anneaux, vous ne serrez jamais seuls. Ne pensez pas que vous n'êtes que deux. Nous sommes plus, nous possédons encore plus, et tout cela ne fait que croître. Nous jugeons qu'il est temps pour vous d'avoir une chance de comprendre ce que nous revendiquons. Si vous le permettez, je vous laisserait continuer votre voyage en paix.

Il fit une légère révérence, attendant que la capitaine lui donne l'autorisation de s'en aller. Snori avait la gorge serrée, pour une raison totalement inconnue. Cet homme dégageait quelque chose de mystique, tout comme ces alliances. Il était inquiétant, étrange, mais il le sentait empli de bonnes intentions. Si une chose était sure, c'est qu'il se rangeait de leur côté pour le moment. Néanmoins, si cela semblait évident pour le prince, ce ne fut pas le cas pour tous. Llednar, bien que n'intervenant pas, gardait une main à sa ceinture, pour dégainer sa lame si jamais les choses tournaient mal.

Zia peinait à rattraper son amie. Se déplacer de toit en toit restait pour elle bien plus aisé que pour la plupart des gens, mais elle ne gagnerait pas la course ainsi. Un moment, elle perdit Oloren de vue. Se disant que finalement une chance se présentait à elle, elle redoubla d'efforts, puis arriva en première sur les docks, non pas sans que cela la surprenne. Elle était là, essoufflée, à observer de toutes parts, se demandant où elle avait bien pu passer, cette fripouille aux cheveux roses.

Quel étrange individu. Deux bagues, pour deux détentrices d'artéfacts. Et cet homme disait qu'ils n'étaient pas seuls... Etait-il lui aussi l'élu d'un artéfact? Et y avait-il une confrérie réunissant un potentiel magique immense? De nombreuses questions résonnaient dans sa tête. Questions sans réponses. Elle aurait voulu le retenir, l'interroger d'avantage, mais ce n'était sans doute ni très poli, ni très prudent. Il était plus que probable qu'elle entende de nouveau parler de lui, ou des alliés dont il parlait. Sans le quitter des yeux, Melody retira le gant droit de Belwur, et mit la bague à son majeur. Elle glissa celle qui était réservée à Laly dans sa poche puis déclara :

- Je vous promet de lui remettre en main propre...

Puis, voyant que l'homme faisait mine de partir, elle ajouta :

- Nous nous reverrons sans doute, mais pouvez vous me donner votre nom, monsieur?

Zia, bougonne, fit mine d'être joyeuse d'avoir vaincu Oloren, tout en sachant parfaitement que la course était truquée. De toute façon, vu sa vitesse, elle n'avait aucune chance contre son amie. À quelques dizaines de mètres, elles pouvait voir le navire qui les emporterais au loin. La rouquine l'imaginait beaucoup plus imposant, mais ils restaient finalement sur quelque chose d'assez basique, voire modeste. L'homme au fourreau vide sembla pour sa part hésiter, puis finit par donner son nom, assez bas, visiblement soucieux de ne pas être entendu.

-Je me nomme Orion Délafi. Nul doute que nous nous croiserons, si les choses ne changent pas. Vous finirez de toute façon par vous rentre compte de l'étroitesse de vos possibilités. Au revoir, mademoiselle Jennsen.

Après un ultime salut, il quitta l'embarcation, alors que les filles y grimpaient ensemble au même moment. Orion les observa étrangement, se stoppa quelques secondes. Cette gamine aux cheveux roses lui disait quelque chose. Comment se nommait-elle, déjà? Beörielle. Oui, ce ne pouvait être qu'elle. Sa présence signifiait sans doute qu'Erlyn n'était pas loin non plus. Il lui agrippa le bras avec douceur, et s'adressa à elle, calmement:

-J'aurais besoin de voir votre frère, mademoiselle Ehlkaÿd.

Zia, sur la qui-vive, serrait les poings, prête à intervenir s'il se passait quelque chose d'inquiétant. Snori, pour sa part, s'était approché de Melody, lentement. Il devait lui faire part de ce qu'il savait à propos de ce fameux Orion, c'était à dire un petit lot de sentiments inexplicables.

-Je pense que nous pouvons lui faire confiance, murmura-t-il. Non, à vrai dire, je crois que nous devons lui faire confiance.

Même si elle ne s’exprima pas, le prince sentit sa voix intérieur approuver ses dires.

Alors que le prince s'approchait d'elle, Melody regardait l'homme partir, et interpeller Oloren. La capitaine mis un certain temps à comprendre les paroles de Snori tant la rencontre avec le dénommé Délafi l'avait troublée. Si ses dires étaient vrai, cela chamboulait tout ce que Melody avait cru savoir sur les artéfacts. Elle pensait depuis des années être sans doute la seule porteuse de tout Valato. Etait il possible qu'il existe d'autres hommes et femmes détenant cette puissance?
Mais ce qui l'avait véritablement effrayé était sa dernière phrase. "Vous finirez de toute façon par vous rentre compte de l'étroitesse de vos possibilités.". Qu'allait il se passer maintenant, et qu'est ce que cet homme savait sur l'avenir? Elle s'accrocha à l'épaule de Snori pour ne pas tomber. Toutes ces révélations lui faisaient tourner la tête.

- Que savez vous de lui, en réalité, Snori? Vous devez me dire! répondit t-elle d'un murmure.

La jeune femme ne savait pas si son ami avait entendu la conversation qu'ils avaient eu. Si tel était le cas, elle se demandait si il avait eu les mêmes conclusions qu'elle. Et si il le connaissait, il devait tout lui dire...

Quand Melody s'accrocha à son épaule, Snori eut de prime abord le réflexe de la récupérer dans ses bras, mais s'abstint finalement. Il aurait certes aimer être plus proche d'elle, mais ce n'était pas là ce qu'elle désirait réellement, il le savait. Il réfléchit quelques secondes à la question posée, tant pour tenter de discerner ses sentiments que pour laisser le temps à la voix de lui laisser un indice. Malheureusement, elle restait muette, comme toujours. C'en était presque frustrant, mais il ne voulait pas encore en faire part à ses camarades, lesquels l'auraient sans doute pris pour un fou.

-À vrai dire, répondit-il, je ne sais pas grand chose, si ce n'est rien. J'ai simplement l'impression qu'il est de notre côté, ou dans tous les cas du tien.

Le tutoiement s'installa naturellement, au plus grand étonnement du prince lui-même. De toute façon, après ces deux mois d'amitié, cela n'avait en réalité pas grand chose de surprenant. Briser les conventions constituait peut-être simplement la première étape vers une relation plus étoffée.

Melody alla s'asseoir en tailleur sur le pont, afin de ne plus chuter de nouveau. Elle n'avait même pas pris conscience du tutoiement récent de Snori, fait tout de même assez marquant quand on se disait que vu son éducation, il pas du tutoyer plus d'une ou deux personnes dans toute sa vie.

- C'est ce que tu penses? J'ai envie d'être d'accord avec toi, mais je pense que cet homme est puissant. Très puissant, même. Et il faut se méfier des puissants...

Elle sortit de sa poche l'anneau réservé à Laly et l'observa sous tous les angles. Elle essaya tant bien que mal de deviner de quel métal il était fait, et conclu que c'était de l'or. Les pierres certies, par contre, ne lui disaient rien. Elles lui rappelaient juste les pierres précieuses que l'on trouve uniquement sur l'île Koïden, mais elle se trompait sans doute. Lorsqu'ils seraient à Nora, Melody demanderait des renseignement auprès du bijoutier de la cour.
S’adressant à ses gants, elle demanda : "Que sais tu sur cet homme, et sur ce qu'il nous a dit, Belwur?"

Le démon à cornes apparut, un sourire aux lèvres : "Avais tu remarqué qu'il transpirait des lèvres? Moi, je trouve ça répugnant, personnellement.". Il fit ensuite un clin d'oeil à Melody et Snori, et disparu de nouveau. La capitaine soupira... Il n'était pas possible de tirer quoi que ce soit de cet artéfact. Pourtant, elle était convaincue qu'il savait quelque chose...