Le pot à crayon
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 Au coin du feu

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Petit Crayon
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MessageSujet: Au coin du feu   Au coin du feu Icon_minitimeSam 25 Oct - 22:10

Karielle avait toujours été un hameau paisible, enfoncé à l'Ouest de Naïlika. On y trouvait deux fermes, en concurrence, quelques commerces et un lieu de culte. Le nombre d'habitants n'excédait guère deux-cent, pourtant le nom du village était connu dans toute la région pour la beauté du site, en hauteur, offrant un panorama appréciable. Quelques familles nobles étaient venues s'y installer suite à la victoire luuwrienne, dix-huit ans auparavant. Les Tzumihi, eux, étaient arrivés quelques temps plus tard, alors que Navira était enceinte. Le jeune couple, fatigué de la suractivité constante de Neims, avaient voulu offrir un lieu de vie paisible à leur futur enfant, qui naquit avec un don dont il n'aurait, espéraient-ils, jamais à se servir. Ainsi, Iyoh passa les sept premières années de sa vie dans un milieu absolument paisible. Ses journées n'étaient agrémentées que par les séances de jeu avec les autres enfants du village, ou par les afflux d'affections de ses parents. Ceux qui avaient croisé ce petit garçon à cette époque l'auraient tous dit joyeux, curieux, ouvert à toute chose et constamment souriant. Il était quelque peu introverti et avait du mal à aller vers l'inconnu sans que ses géniteurs ne soient à proximité, mais à leur instar, tous, à Karielle, l'appréciaient. Mais le destin du jeune noble qu'il était allait prendre une tournure cauchemardesque. De ce jour-ci, Iyoh ne conservait que des bribes de souvenirs. Des pleurs, des cris. De grands hommes, une longue discussion, une lame à travers la gorge de son père. De la peur. Beaucoup de peur. Et, net au cœur de ce tumulte, le visage d'une adolescente aux cheveux écarlate, aux yeux d'un bleu plus clair que les cieux, à la peine et la colère plus attisée que celles de n'importe quel homme. Une adolescente qu'il allait apprendre à admirer et haïr, qui allait le faire souffrir et le rendre fier. Grâce à elle, il était devenu l'homme qu'il était. À cause d'elle, il était devenu l'homme qu'il était.

-Frappes la !

Déjà trois années étaient passées. Iyoh avait considérablement maigri et avait désormais les cheveux rasés. Il était dans ce qui semblait être le sous-sol d'un temple, quelque part à Naïlika. Lorsqu'ils se déplaçaient, on lui bandait les yeux, à lui comme à tous les autres enfants, afin qu'ils ne puissent savoir ce qu'il en était. Il sentait juste qu'on les faisait grimper dans des chariots en leur ordonnant de ne dire mot. Une fille avait hurlé, un jour, alors qu'ils voyageaient, et plus jamais ils ne l'avaient revue. Depuis, ils se taisaient. Aujourd'hui encore, on les avait placé les uns en face des autres, par paires. Ils étaient de plus en plus, presque soixante. Soixante à se battre, tous les jours, à faire saigner leurs compagnons d'infortune. Le petit noble de Karielle s'était fait massacrer les premiers temps, puis avait fini par rendre les coups, avant de comprendre comment les esquiver. Maintenant, pour éviter de souffrir, il faisait souffrir les autres le plus rapidement possible. Son adversaire, il l'avait déjà battu. Ce n'était qu'une fillette, qui avait trois ans de moins que lui, et qui le suppliait du regard de s'arrêter là, en se tordant de douleur au sol. Iyoh l'aimait bien, comme tous les autres. Ils avaient mal ensemble et tissaient donc des liens particulièrement forts. Gladys aidait à les tisser avant de fomenter leur destruction brutale. Elle n'avait que seize ans, et pourtant, elle seule donnait les ordres pendant que les deux adultes regardaient, pensifs. « Frappes la » répéta-t-elle. Iyoh hésita, observant avec dégoût la gamine qu'il venait de passer à tabac. Le violent impact de sa chair nue avec une barre métallique le rappela à l'ordre, provoquant une douleur insupportable qu'il se devait de contenir. Au moindre signe de faiblesse, au moindre gémissement, il en recevrait un second. Tombé à genou, il fixait le sol avec intensité en serrant les dents, retenant les larmes qu'il sentait monter.

-Frappes la !

Iyoh ferma les yeux, prit une grande inspiration. Il n'y avait qu'un remède contre la souffrance et la peine. Un seul et unique moyen de faire fi de ses appréhension, de ses remords, de son étique. Un mur derrière lequel il pouvait se cacher, et dissimuler toutes les valeurs qu'on lui avait autrefois inculqué. Cet échappatoire portait pour nom haine. Lorsqu'il rouvrit les yeux, ses pupilles étaient légèrement dilatées, ses muscles tendus. Il se releva vivement et serra les poings avant de crier :

-Oui, mademoiselle !!

Son pied fusa alors, heurtant l'abdomen de la fillette qui eut dans un premier temps le souffle coupé. Au second coup, elle poussa un râle de douleur. Aux suivants, elle hurla. Le soir même, alors qu'on les entassait dans d'immenses salles qui feraient office de dortoir et agrémentées uniquement de fines paillasses, l'un des plus âgés d'entre eux s'occupait d'aller bander les blessures de ceux qui saignaient, et réconfortait comme il le pouvait les autres. Tous avaient retenu le nom de Kuzon Vikens. C'était un drôle de garçon, de deux ans moins âgé que Gladys, qui n'hésitait pas s'opposer à elle ou à essayer de lui tirer un sourire. De tous, c'était probablement celui qui avait été le plus battu, pourtant il conservait le sourire. Ici, en dehors du monde, il était leur grand frère à tous. Iyoh vit la fille qu'il avait frappé toute à l'heure se blottir dans ses bras alors qu'il leur racontait comment faire semblant de souffrir, afin qu'ils puissent être dispensés de continuer les combats au plus tôt. Ce  n'était pas la première fois qu'il se risquait à leur inculquer quelque astuce, et il avait déjà été sévèrement puni pour cela. Les nombreuses cicatrices sur son épiderme en témoignaient. La plupart des enfants se regroupaient autour de lui, mais Iyoh préférait s'isoler. Il ne voulait pas se faire d'amis. Il voulait repartir à Karielle. Il voulait retrouver sa mère. Et plus encore, plus que tout au monde, il voulait tuer Gladys. Ils étaient nombreux, et même si ce n'étaient que des mômes, ils pourraient facilement la battre ! Alors pourquoi aucun d'eux ne trouvait le courage de passer à l'action...de, ne serait-ce, qu'évoquer cette possibilité ? Chaque soir, en fermant les yeux, Iyoh avait la réponse à cette question. C'est parce qu'elle était tout ce qu'ils avaient. Elle était celle qui menait leur vie, celle qui les nourrissait, qui leur disait quoi faire, qui être. Entendre son nom les tétanisait, pourtant ils l'aimaient. Et quand il tentait d'imaginer le visage de sa mère, il ne parvenait à voir que le sien.

Les mois passèrent, nombreux, lents. Iyoh avait grandi, commençait à muer, et conservait comme plus efficace protection son mur de colère. Jamais il ne le laissait flancher, pour que jamais il n'aie la moindre hésitation. Il avait appris, sous la tutelle impitoyable de Gladys, à manier l'épée et à joindre ce art à son pouvoir. Il était un trancheur. Si tout pouvoir constituait une aide précieuse, il avait été établi selon les deux adultes, dont l'identité restait inconnue aux yeux des enfants, que certains étaient plus efficaces que d'autres. Les révulseurs, les fonceurs et les trancheurs. Les « Ombres », fraîchement baptisées, plaçaient donc de grands espoirs en lui, pour qu'il devienne un jour un guerrier des plus redoutables. On commençait à le respecter, à le craindre, et cela lui plaisait. Il comprenait à présent qu'ils avaient souffert pour que Naïlika puisse un jour être libre. Ils allaient la sauver ! Voilà ce que, du moins, il se répétait sans cesse. Chaque matin, ils se réunissaient tous et participait à leur grand salut commun. Placés en rang, ils étaient désormais cent à suivre Gladys, entrant dans l'âge adulte, leur geôlière adulée. Habitée d'une énergie froide, elle se plaçait sur une estrade et entamait sa messe.

-Avez-vous un nom ?!

À l'unisson, les cent lui répondaient.

-Oui.

-Importe-t-il ?!

-Non.

-Qui êtes vous ?!

-Nous sommes les Ombres. Nous sommes l'honneur, nous sommes la vengeance, nous somme la fierté.
-Pour qui vous battez-vous ?!

-Pour la mère, pour notre terre. Pour Naïlika.

-Pour la liberté.

Quatre-vingt-dix-neuf paire d'yeux restèrent fixes. Ceux de Gladys se figèrent le garçon qui avait osé sortir du rang. Il tenait à sa main un long poignard, et la regarda avec haine avant de se tourner vers ses camarades.

-Mes frères, mes sœurs, aujourd'hui, nous sommes libres ! Nous ne subirons plus cette oppression ! Avec moi !

Iyoh demeura immobile, tendu, droit comme un i, les pieds joints et les mains croisées dans le dos. Il faisait des efforts monumentaux pour ne pas se laisser distraire par ce dissident. Il attendait une occasion comme celle-ci depuis six ans. Ils étaient désormais tous aptes à se battre, savaient utiliser leur pouvoir, étaient dix dizaines. En un instant, ils auraient tué Gladys et pu retrouver leurs familles. Leurs noms. Leurs vies. Mais Iyoh ne broncha pas. Personne ne broncha. Gladys, elle, sourit.

-Ce dissident menace notre nation, tonna-t-elle.

-Tout ennemi de la nation doit périr, répondirent les Ombres à l'unisson.

Les plus proches s'approchèrent alors de lui et n'eurent besoin que d'une paire de seconde pour le maîtriser. Jusqu'à la tombée de la nuit, il fut enchaîné à même le sol de pierre du temple abandonné dans lequel ils avaient élu domicile pour l'heure, entièrement nu, les yeux bandés et la bouche bâillonnée. Malgré sa musculature et la demi-tête qu'il rendait à ses compagnons, il semblait misérable, faible. Gladys réunit de nouveau ses troupes après le dernier entraînement, et fit sortir du rang une fille à la peau matte, dont elle ôta l'un des gants de cuir et à laquelle elle fit signe d'avancer jusqu'au traître. Tous savaient ce qui allait se passer et ne détournèrent pas le regard lorsque la main ainsi exposée émit une lueur incandescente, avant de se plaquer sur l'organe génital de l'adolescent. Ses cris déchirèrent la nuit. Et au petit matin, ignorant la douleur, il répondit « Pour Naïlika » à l'ultime question de la messe quotidienne. Cette scène, Iyoh ne l'avait jamais oubliée ; et lorsqu'il plongeait comme aujourd'hui son regard dans les volutes d'un feu de camp, elle lui revenait à l'esprit. L'ancien chef des Ombres, recroquevillé pour parer au froid ambiant, se laissa choir sur l'herbe. Cela faisait vingt et un an qu'on l'avait enlevé à ses parents. Pendant près des trois quarts de cette période, Gladys l'avait fait souffrir, lui et ses amis, chaque jour de l'année. Kurk et Henrik, deux anciens généraux dont l'un était son père, avaient abusés sous ses ordres direct de tous les membres de leur groupe, sans exception. Puis elle les avait elle même tué une fois qu'elle fut certaine que cent Ombres avaient été violées. Gladys Engels avait été l'être le plus abject qu'ait engendré Valato. Elle avait fait de ses soldats des combattants parfaits, ne connaissant plus la peur ni la souffrance pour la simple raison qu'elle leur avait fait vivre dix fois pire. Iyoh ferma les yeux de nouveau. Repensa à Karielle. Et pleura.

Ce n'était toujours pas le visage de sa mère qu'il voyait.
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MessageSujet: Re: Au coin du feu   Au coin du feu Icon_minitimeMer 12 Nov - 22:52

Durant la troisième grande guerre ayant opposé la coalition du Sud à Naïlika, les Ombres avaient joué un rôle décisif. Certain plus que d'autres furent des éléments déclencheurs de grandes actions, et eurent acquis leur place dans les livres d'histoire, que ce soit en ennemis du monde connu ou en exemple de rédemption. Très vite après l'attaque de Neims par ces cent redoutables soldats, vingt-cinq équipes avaient été formées avec à leur tête vingt-cinq leaders, plus redoutables encore que leurs homologues. Puis, parmi ces vingt-cinq, cinq seulement furent nommés chef suprême, gagnant le privilège de conseiller Gladys, de discuter ses décisions. Ils étaient ses cinq généraux, et les cinq raisons qui avaient causé sa perte. Le trop de liberté qu'elle leur avait laissé avait fini par nourrir leur désir d'indépendance, et avait permis de rendre la trahison finale d'Iyoh Tzumihi possible. Cet ordre de puissants guerriers fut par la suite dissout, malheureusement trop tard pour que certains d'entre eux puissent reconquérir l'existence qu'on leur avait lâchement dérobé. Parmi ceux-là, l'un, plus particulièrement, se démarquait de ses compères. Lui, la seule Ombre n'ayant jamais tué personne. Il était l'un des vingt-cinq dirigeants de leur troupe, et était un grimpeur originaire de la périphérie de Neims. Son nom était Kuzon Lidar. Six ans avant que la guerre n'éclate, soit quelques mois avant sa majorité, il fut convoqué par Gladys elle-même. La jeune femme ne leur adressait jamais la parole de façon individuelle s'il ne s'agissait pas de donner des ordres. En règle générale, elle se contentait d'ailleurs des discours soutenus et laissait ses deux compères, anciens militaires des conflits passés, se charger de donner les détails plus spécifiques. Ainsi, l'on savait, lorsqu'elle en venait à faire appel à une personne en particulier, qu'il ne pouvait s'agir que d'un extrême : soit une mission de la plus haute importance, soit une remontrance douloureuse. Fort heureusement pour Kuzon, il s'agissait cette fois-ci du premier cas de figure. Âgée d'une vingtaine d'années, l'ancienne porteuse de Belwur l'attendait, dos à lui, mains croisées dans le dos face à une carte détaillée tendue sur le mur qui lui faisait face. Elle se tourna vers lui, droite comme jamais, le regard impétueux, tandis qu'il effectuait un garde-à-vous parfait. Visiblement satisfaite, elle pointa du doigt une région donnée et le fixa droit dans les yeux.

-J'ai besoin de toi spécifiquement. Il y a des personnes qu'il nous faut éliminer, et tu es le seul à connaître les lieux.

Kuzon blêmit, comprenant immédiatement que ce n'était aucunement pour ses connaissances qu'on l'avait choisi. Qui ne connaissait pas les alentours de Neims ? Gladys était intelligente. Redoutablement intelligente. Sans doute y travaillait-elle chaque jour, mais les faits étaient que ses capacités cognitive surpassaient de loin celle d'un humain lambda. En meneuse avisée, elle connaissait parfaitement la situation de chacun de ses hommes, leurs noms, pouvoirs, et origines. Cet endroit spécifique où elle l'envoyait n'était autre que la ville où il avait grandi. L'endroit même où on avait détruit tout ce à quoi il pouvait tenir avant de le forcer à rejoindre les rangs d'enfants torturés. De prime abord, ce n'était guère une mission qu'on lui imposait, mais une épreuve. Une ultime initiation. Il lui faudrait se débarrasser de toute nostalgie, pouvoir affronter son passé sans ciller. Devant elle, il ne laissa rien paraître. Comme beaucoup, il avait fini par se faire une raison et préférait croire dur comme fer qu'il agissait réellement pour le bien de sa nation. Le fait fut que l'enjeu de la tâche qu'on lui confiait était en l'occurrence important. Un couple de rebelles avait été repéré dans cette banlieue. Les prémices de la révolution que fomentait en ce moment Igole Vrag demandait une collaboration totale de la part du peuple naïlikan afin de pouvoir aboutir. Les citoyens devaient être mis au courant, et il fallait être certain qu'ils gardent le silence, d'autant que la présence d'agents dormants luuwriens n'était pas à exclure. Ainsi, seuls des patriotes avérés et enclins à suivre une stratégie élaborée étaient mis au courant par les fervents d'Igole, puis étaient sujets à une surveillance étroite de la part des Ombres qui travaillaient dores et déjà avec cet homme, dans l'espoir de pouvoir un jour reconquérir leur terre. Selon les informations fraîchement recueillies, le couple dont il était question était enclin à rejoindre la cause sudiste, risquant ainsi de démanteler par leur trahison le réseau fébrile formé par la résistance. Arrivé à ce stade, il n'était plus question de les convaincre : il faudrait abattre ces dissidents au plus vite. Kuzon se vit pour la première fois accorder la responsabilité de guider trois Ombres, qui seraient plus tard ses trois subalternes.

Ils partirent aussitôt, et arrivèrent à Neims à la tombée de la nuit. Avant d'entrer dans la capitale, ils se séparèrent afin de n'attirer l'attention, les groupes étant plus facilement sujets à une surveillance assidue de la part des soldats à la solde de Luuwr. Kuzon ne portait qu'une armure légère, dont la plupart des parties renforcées étaient de cuir. Il portait une lame courte à sa ceinture et une arbalète entre ses omoplates, mais, du fait de son visage souriant et ses cheveux sombres en bataille, il passait aisément pour un jeune noble vaniteux ou tout au plus un mercenaire. Nul n'allait se douter, au premier regard, qu'il s'agissait en vérité de l'un des assassins les plus compétents de Valato. De fait, il se permit de marcher simplement dans les rues, éclairé par les lampadaires, visible de tous, sans se soucier des gardes menaçants. Derrière cette façade se dissimulait comme toujours une anxiété réelle et grandissante. Ces missions ne lui disaient jamais rien qui vaille, et il n'appréciait pas les combats, aussi feraient-ils ce qu'ils avaient à faire rapidement. Le temps de traverser la capitale colonisée, ils se retrouvèrent sur une colline qui surplombait la cité banlieusarde où ils souhaitaient se rendre. Dissimulés dans la pénombre, ils prirent le temps d'observer l'aménagement du lieu, ou plutôt laissèrent-ils Kuzon se rafraîchir la mémoire et assimiler les nouvelles informations dues aux quelques changements apportés à l'architecture. Le grimpeur sentait un vent de mélancolie souffler en lui, mais il s'empressa de le chasser, se concentrant sur la demeure qu'on leur avait désigné. Là vivaient les gens dont on lui avait parlé, et dont on lui avait donné le nom. Les Lidar. Le quatuor se mit en marche, approchant furtivement du lieu où le sang allait couler. Puis ils se stoppèrent, stupéfaits, lorsque la porte s'ouvrit, à quelques mètres d'eux. Encore cachés derrière des bâtisses adjacentes, ils ne se firent remarquer mais virent leurs cibles s'engager dans la rue, main dans la main, en direction de la sortie du village. Compte tenu de leur démarche et de l'air guilleret qu'ils semblaient afficher, nul doute possible, ils ne s'attendaient pas à être attaqués. Et leur isolement était parfait. Parfait si ce n'était pour Kuzon, qui ressentit un affreux pincement au cœur. Le nom ne lui avait rien évoqué, toutefois il n'y avait aucun doute possible : il connaissait ces gens. Ils vivaient déjà ici lorsqu'il était enfant. Et il ne pouvait aucunement tuer de sang froid des gens qu'il connaissait. Sa position de chef d'équipe lui sauvait la mise.

-Suivez-les et chargez vous-en quand ils seront isolés, ordonna-t-il à ses compagnons. Moi je vais faire un tour chez eux.

Ils acquiescèrent sans se poser de question, supposant qu'il allait chercher des documents compromettants ou simplement couvrir leurs arrières, et disparurent en un instant. Veillant à ce que nul ne puisse le voir, Kuzon se glissa à travers l'une des fenêtres entrouvertes. La vérité était qu'il avait à ce moment réellement pour objectif de détruire toute preuve, s'il en était, de l'existence de la rébellion d'Igole Vrag. Ce qu'il ne put prévoir en revanche fut, en fouillant les salles de l'étage, de tomber sur un lit d'enfant, occupé. Ses yeux s'écarquillèrent d'eux-même en voyant ce frêle gamin qui ne devait avoir que trois ou quatre ans, tandis que les souvenirs que lui rappelaient ses propres actes corrompaient son âme. Gladys avait tué ses parents, le laissant orphelin, seul et désespéré. Et voilà qu'il venait d'ordonner aux Ombres de tuer les parents de cette fillette qui connaîtrait le même sort que lui. Il dut se mordre la chair du pouce afin de ne pas réveiller la petite Lidar alors que les larmes de culpabilité lui montaient aux yeux. C'était impossible. Il ne pouvait pas en être ainsi. Ils ne pouvaient pas se permettre de commettre de telles atrocités impunément. Oubliant sa mission, le jeune homme repartit à vive allure en direction de ses amis. Il fallait qu'il les arrête. Il fallait qu'il leur fasse comprendre qu'ils n'avaient pas besoin d'agir ainsi, qu'il leur fallait déserter, qu'il fallait demander l'aide de Luuwr avant qu'ils ne deviennent de véritables monstres. Mais lorsqu'il vit ses camarades tirer les corps sans vie des deux riverains, ses pulsions s'éteignirent. C'était trop tard. Quelques heures plus tard, ils étaient de retour à leur base temporaire, ayant accompli leur mission. Ils furent même félicités pour cela et l'on fit comprendre à Kuzon que ses compétences allaient le mener, s'il continuait sur cette voie, à devenir définitivement l'un des hauts-placés de leur organisation. Il fit mine d'être reconnaissant. D'éprouver de la fierté. Mais ces mots résonnèrent, creux, dans son esprit tumultueux.

Il retourna sur les lieux du crime quelques jours plus tard. Comme beaucoup des Ombres les plus âgées, il pouvait désormais à sa guise aller collecter des informations et accompagner l'action d'Igole Vrag directement sur le terrain, avec une certaine autonomie, du moment que ses actions n'allaient pas à l'encontre des ordres de Gladys. Il avait ainsi prétexté vouloir aller s'assurer que l'enquête menée par les autorités locales ne menaçait pas de les mettre sur leur piste, ce qui avait été approuvé par sa supérieure. Tendu, il marcha simplement dans les rues de ce village, se sentant coupable à chaque pas qu'il y faisait. L'ambiance ici était délétère tant les habitants étaient marqués par les événements récents. Il alla directement s'adresser à l'un d'eux, un homme d'une soixantaine d'années assis sur un rocking-chair devant la porte de sa maison. Heureusement que son entraînement intensif lui avait appris à refouler ses émotions, sans quoi il n'aurait pu dissimuler sa gène, voire sa honte.

-J'ai entendu dire que les Lidar avaient été tués...

-Ça...triste histoire. Mais qui ne l'a pas entendu dire ? Et qui êtes vous ?

-Juste un enfant du coin.

Le vieillard le dévisagea un instant puis haussa les épaules. Il ne le reconnaissait pas mais sa mémoire lui faisait défaut, alors il était plus que probable qu'il l'aie simplement oublié.

-Enfin, la fille a survécu, soupira-t-il. Pauvre petite.

-Qu'est-ce qu'il va lui arriver maintenant ?

-Ils l'ont placé dans un orphelinat, à Neims. Vous voulez mon avis, petit ? Tout ça, c'est Luuwr. Ils se débarrassent de ceux qui pourraient leur causer problème. Les Lidar, paix à leur âme, étaient trop intelligents pour leur propre bien.

Kuzon se força à afficher un triste sourire. Qu'ils continuent ainsi d'accuser le Sud.

-Vous avez sans doute raison. Paix à leur âme.

Il repartit bien vite du village après en avoir fait le tour complet par acquis de conscience, et entama sa recherche dans la capitale. Il n'y avait pas tant d'orphelinats que cela dans les environs. Le Nord n'était pas tendre avec les jeunes gens sans avenir. On ne les couvait pas, on leur apprenait le dur labeur. Pour la plupart, ils étaient confiés à des agriculteurs comme garçons de ferme, ou apprenaient à devenir des maîtresses de maisons respectables qui pourraient à l'avenir servir les seigneurs. La chance fut avec le grimpeur en ce jour. L'établissement qu'il visita était de grande taille, et avait des allures d'hôpital, avec ses interminables rangées de chambres et ses salles larges et creuses, dépourvues d'âmes. La tristesse du lieu encouragea d'autant plus Kuzon à rechercher la fillette. À dire vrai, lui même ne savait réellement pourquoi il prenait tant de risques. Si l'on découvrait qu'il poursuivait des chimères, il subirait les remontrances de Gladys. Pourtant il ne pouvait s'empêcher de constater l'injustice de cette situation et se sentait responsable de ses actes. Il lui était simplement impossible de laisser cette enfant, sans famille, sans repère, grandir dans un monde qui lui voudrait du mal en connaissant la solitude. De brefs questionnements à l'adresse de l'une des jeunes femmes s'occupant des enfants lui permit rapidement d’identifier la petite Lidar Prétextant simplement être de la famille, il parvint à se faire indiquer le numéro de sa chambre et s'y rendit sans délai. Et alors qu'il était passé par la peine et la souffrance, il ressentit, au moment de toquer, une pression plus pesantes que toutes celles l'ayant assaillies au cours de sa vie. Un bref instant, il hésita, puis, résigné, fit tourner la poignée sans s'annoncer au préalable.

La chambre était pour ainsi dire sommaire. Une commode abritait certainement vêtements et linges, tandis qu'un bureau accolé à la fenêtre permettait d'étudier, dans la mesure des enseignements dispensés par l'orphelinat, lesquels ne devaient être que sommaires. Enfin, un lit simple aux draps blancs se trouvait directement à la gauche de la porte. Associé à la hauteur du plafond et la teinte immaculée des murs, le tout donnait à la pièce une ambiance pesante, froide, étouffante. Assise sur son lit, adossée au mur et fixant celui d'en face, la fillette était là. Elle devait avoir une taille moyenne pour son âge et être un peu plus maigre que nécessaire, portait une robe de nuit si longue qu'elle lui recouvrait les pieds, et avait de longs cheveux blonds légèrement ondulés qui encadraient un visage pâle aux lignes pures. Elle tourna vers l'inconnu des yeux où l'étonnement se mêlait à un néant absolu. La mort subite de ses parents et son changement de vie tout aussi soudain n'avait du l'attrister qu'un moment, avant de la laisser en proie à un vide intérieur dévorant. Dans l'obscurité, Kuzon avait vue en elle une enfant comme les autres mais la trouvait à présent particulièrement adorable, ce qui ne fit que renforcer son trouble mais également sa motivation. Il était à présent certain de ce qu'il allait faire pour elle ; de ce qu'il se devait de faire pour elle. Prenant l'air le plus amical possible, il alla s'accroupir devant elle et plongea ses yeux dans les siens.

-Adel ? l'appela-t-il.

Elle hocha la tête à l'entente de son nom. Le cœur de Kuzon battît la chamade. Une fois qu'il se serait engagé sur cette route, il ne pourrait plus faire marche arrière. Or cela tombait bien : il ne souhaitait plus faire marche arrière.

-Tu te souviens de moi ?

Ce fut cette fois-ci un signe négatif. Malgré son apathie, elle demeurait réceptive, ce qui était un bon signe. Les symptômes post-traumatiques n'étaient pas si graves qu'ils auraient pu l'être.

-C'est moi, Kuzon. On ne s'est pas vu depuis longtemps...tu as grandi. J'ai eu beaucoup, beaucoup de travail ces deniers temps. Mais maintenant je vais pouvoir passer du temps avec toi. Je suis ton frère. Tu te rappelles ?

-Kuzon ? répéta-t-elle.

-C'est ça, Kuzon.

La petite fille le dévisagea, dubitative. Elle avait du mal à croire à son histoire, mais elle voulait que ce soit vrai. Son père aussi s'absentait souvent, longtemps, alors il était possible que ce garçon-là soit vraiment son frère et qu'elle ne s'en souvienne pas. Elle avait l'impression d'oublier tout un tas de choses, ces derniers temps, de toute façon. Kuzon observait chacune de ses réactions, constatant petit à petit que si elle n'était pas encore prête à le croire sur parole, ce mensonge finirait par devenir pour elle la seule vérité. Il fut quelque peu surpris, ceci étant, lorsqu’elle se pencha en avant pour lui prendre la main et le tirer vers elle. Docilement, il se laissa faire et referma délicatement ses bras sur elle lorsqu'elle vint s'appuyer sur son torse. Le grimpeur avait lu quelque part, un jour, qu'il n'était avisé de défaire son étreinte lorsqu'un enfant la demandait, qu'il fallait le laisser se dégager. Il appliqua ce conseil et resta en sa compagnie des heures durant. Et tandis qu'il sentait son souffle, proche de son cœur, et qu'il faisait glisser entre ses doigts ces mèches dorées, il eut le sentiment de soutenir un ange, splendide et fragile. Lui qui n'avait jamais été paternaliste ni même sentimental comprit que sa vie ne serait plus jamais la même. Alors que la nuit tombait, il tenta de lui faire comprendre qu'il lui fallait partir, ce à quoi elle répondit en s'accrochant, de ses minuscules poings, à ses vêtements. Aussi resta-t-il, et ne finit-il par la quitter qu'une fois qu'elle fut endormie. En quittant l'endroit, il chargea l'une des nourrices d'affirmer à Adel qu'il reviendrait la voir au plus vite.

Durant quatre ans, il continua de lui rendre visite le plus souvent possible, sans jamais en informer ses amis, dans le dos de Gladys. Personne ne devait être au courant, sans quoi il risquait sa vie. Adel grandissait et souriait souvent en sa présence. Ils s'adonnaient à toutes sortes d'activité ensemble, que ce soit dans l'enceinte de l'orphelinat ou en dehors. Souvent, il l'emmenait visiter les alentours, sans jamais passer par ce village désormais maudit où aucun d'entre eux n'avait envie de remettre les pieds. Leurs excursions ne duraient jamais longtemps mais constituaient des souvenirs qu'ils gardaient à l'esprit longtemps. Il lui apprit à compter et à lire, lui inculqua les rudiments de leur histoire, tandis qu'elle lui ouvrait, sans le vouloir, une porte vers un bonheur si écrasant qu'il en oubliait sa culpabilité. Elle ne lui revint en pleine figure qu'un soir qu'il la quittait de nouveau. Comme souvent lorsqu'il passait ses journées en sa compagnie, il ne la laissait qu'au moment où elle s'endormait. Allongée dans son lit, lui agenouillé à ses côtés, ils se racontaient leurs différentes aventures. Loin de vouloir l'horrifier, Kuzon parlait simplement des Ombres comme d'un grand groupe d'amis quelque peu tumultueux, et leur parlait de chacun d'entre eux, grossissant les traits pour en faire des personnages attrayants et fantastiques. Il s'agissait également d'un moyen pour lui d'oublier l'horreur de sa condition, et de rendre à ses compagnons d'infortune la dignité à laquelle ils avaient droit. En les dépeignant comme il aurait dépeint des amis, il entretenait l'espoir qu'il avait d'un jour les voir libres et heureux, de nouveau humains. Elle lui parlait en contrepartie de ses rares amies, mais se contentait principalement d'écouter. Elle aimait l'écouter. Il racontait bien les choses, la faisait rire. Il était intelligent, amusant, talentueux, et plus gentil que n'importe qui.

-Allez...on va encore se faire disputer, alors il vaut mieux que j'y aille, dit-il en appuyant sa main sur le lit, prêt à se redresser.

-Attends.

Elle passa ses bras autour de son cou et le tira vers elle, l'étreignant avec affection.

-Ça faisait longtemps, la taquina-t-il.

Après quelques instants, il finit par souffler la bougie éclairant fébrilement la pièce, et déposa un baiser sur son front.

-Dort bien poussin.

-Toi aussi, grand frère.

Kuzon referma la porte en douceur malgré ses mains soudain tremblantes. Il souffla un grand coup une fois cela fait, puis s'adossa au mur le plus proche avant de se laisser glisser jusqu'au sol, où il se couvrit le visage pour sécher les larmes qu'il ne pouvait empêcher de couler. C'était la première fois en quatre ans qu'elle l'appelait ainsi. La première fois qu'il avait confirmation qu'elle le considérait bel et bien comme son frère. Pour elle, il était Kuzon Lidar. Elle l'aimait autant qu'il l'aimait. Le savoir le remplissait de joie mais pourtant, il ne pouvait se sentir satisfait de la situation. Comment être en paix alors qu'il avait fait tuer ses parents ? Quel genre de monstre était-il, lui qui trompait ainsi la confiance d'une enfant si pure ? Bien sûr, c'était pour le mieux, et ils n'en tiraient tout deux que du bon, mais il n'était pas certain de pouvoir tenir le coup indéfiniment. Il ne la revit qu'à trois reprises par la suite, avant qu'elle ne soit adoptée par une femme dont il ne savait rien. Des semaines durant, Kuzon fut inconsolable. Parmi les Ombres, on le connaissait comme quelqu'un de souriant, de volontaire, et il fut tout l'inverse. Gladys savait. Il avait été bête de pouvoir penser la tromper. Elle lui avait fait part de sa colère face à ses actes, et avait affiché un sourire satisfait. Le marché était simple : si, à l'avenir, Kuzon désobéissait, elle ferait tuer sa petite protégée. Quatre mois passèrent sans qu'il n'entende parler d'elle. Il oubliait peu à peu ce qu'il en était d'être heureux, vivant dans un monde dont on avait retiré son soleil, lorsque l'aide lui vint d'où il n'aurait pu le prévoir. Il était tôt le matin, en cette journée d'hiver. Iyoh et lui avaient été envoyés en duo pour une affaire à laquelle le grimpeur n'avait réellement prêté attention. Son compagnon dirigeait, aussi n'avait-il pas besoin d'en savoir autant que lui. Alors qu'ils étaient éloignés de leur camp de base, le trancheur, qui menait la marche, se retourna soudainement et lui agrippa l'épaule, scruta l'horizon de toute part afin de s'assurer qu'ils n'étaient suivis, et emmena avec lui son homologue pour le moins surpris jusqu'à l'ombre d'une rocher volumineux où ils ne pourraient être vus.

-Eh, mais qu'est-ce que tu fais ?

-Ta gamine, là, je sais où elle est, affirma Iyoh en le fixant, inexpressif.

Cela n'étonnait aucunement Kuzon, qui savait Iyoh proche des dirigeants des Ombres. S'il était question de faire pression sur sa personne en menaçant Adel, il devait être parmi les rares à connaître sa position afin de pouvoir éventuellement l'éliminer en représailles. Ce petit nerveux avait toujours adoré la violence et la cruauté.

-Et après ? rétorqua-t-il, quelque peu hostile dès lors qu'on évoquait le cas de l'orpheline.

-Alors je peux aller effectuer cette mission seul et te laisser aller la voir, si tu me promets quelque chose.

Kuzon resta stupéfait. Iyoh Tzumihi, le petit soldat parfait de Gladys, qui lui proposait cela ? Il y avait nécessairement anguille sous roche. Peut-être s'agissait-il d'un test, destiné à évaluer sa fidélité. Pourtant, quelque chose dans l'air du trancheur clamait sa franchise. Aveuglé par l'affection qu'il portait à sa sœur d'adoption, Kuzon aurait de toute manière été prêt à tomber dans le piège le plus évident, aussi fit-il signe à son interlocuteur qu'il écoutait ce qu'il avait à dire.

-Je veux ta voix. Il y aura nécessairement une élection pour déterminer qui seront...

Le jeune homme soupira, laissant Iyoh continuer son monologue. Bien sûr qu'il lui accordait sa voix pour qu'il devienne l'un des chefs suprêmes, si cela pouvait lui faire plaisir ! Flatter l’ego et nourrir l'ambition de ce maniaque n'était rien comparé à ce qu'il venait de lui offrir. Le marché était conclu. Ils continuèrent leur route, et se séparèrent à l'intersection la plus proche de la ville de destination d'Iyoh, tandis que Kuzon filait vers Artesia. Sur place, il demanda aux passants où trouver la femme dont on lui avait indiqué le nom, une certaine Ilawen. Visiblement, s'il ne s'agissait d'une sommité, ce personnage avait sa petite réputation dans les environs et il ne fut pas difficile de trouver sa demeure. Y allant en hâte, se retenant presque de courir, il frappa à la porte plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Ce fut une marâtre plus haute que lui et deux fois plus large qui lui ouvrit, la mine souriante. Un ours. Il tomba quelque peu des nues et, n'ayant réellement préparé son introduction, balbutia quelques propos inaudibles qui tirèrent un haussement de sourcil à la grande femme. Il serra finalement le point en reprenant son calme, atténuant les tremblements qui parcouraient tout son corps.

-Est-ce qu'Adel est là ? parvint-il à demander.

-Oui...et qui êtres vous ?

Il serait compliqué de lui expliquer qu'il était son frère mais qu'il avait du l'abandonner, la laissant se faire adopter sans même avoir son mot à dire, et il n'eut fort heureusement pas à le faire. Le son de l'impact des pieds nus de l'orpheline sur le parquet résonna dans la pièce avant qu'elle ne parviennent jusqu'à lui et ne se jette dans ses bras. Il tomba immédiatement à genoux, la serrant contre lui comme pour s'assurer qu'elle était bien réelle, redécouvrant en un instant à quel point elle pouvait le rendre joyeux, par sa simple présence. Kuzon passa l'après-midi en compagnie de sa petite sœur, sous l'œil attentif et sombre d'Ilawen, qui vint le prendre à parti vers la fin de journée, les séparant momentanément. Elle était heureuse de voir Adel sourire à nouveau, mais l'avait déjà entendu parler de son frère et s'inquiétait de ce qu'il en était. La description qu'elle en avait faite ne laissait en effet que peu de doute quant à son identité, ce qui emplissait l'esprit de la veuve d'un doute affreux, tiraillée qu'elle était entre le bonheur momentané de sa fille et la raison pure. Il lui fallait au moins en faire part à ce jeune homme, au demeurant sympathique et souriant, empli de qualités qui ne faisaient qu'accentuer son dilemme.

-Tu es une Ombre, n'est-ce pas ? lui demanda-t-elle sans détour.

-Oui, affirma-t-il, ne cherchant aucunement à cacher une vérité qu'elle soupçonnait.

S'ensuivit un véritable duel silencieux, au cours duquel tout deux cherchaient à comprendre ce que l'autre ressentait, désirait. Leur terrain d'entente, toutefois, finit par l'emporter : ils feraient tout pour le bonheur d'Adel. S'il le désirait et qu'il était certain que cela ne comporte aucun risque, il pourrait donc continuer à les visiter de temps à autres. Cela arriva à de multiples reprises durant les mois qui suivirent. Il ne pouvait voir sa sœur au quotidien comme auparavant, mais sentir sa présence à ses côtés régulièrement lui permettait de supporté son quotidien. Puis vint la guerre. Kuzon avait été nommé chef d'équipe et menait les siens à travers Hovo, à la recherche d'éventuels infiltrés luuwriens, lorsqu'il fut rappelé en vitesse pour apporter son soutien à Iyoh. Les combats furent nombreux, rudes, et le menèrent finalement à Gotor. Seul. Il avait perdu ses hommes, et était désormais perché sur un mur, en hauteur, son arbalète à la main. Il dominait ses deux adversaires, dont l'un n'était autre que le prince de l'Oran en personne. Il n'avait qu'à appuyer sur sa gâchette, et en quelques tirs, c'en serait terminé. Mais l'étrange osmose qui régnait entre ce blondinet et la petite rouquine qui l'accompagnait laissait un sentiment amer à Kuzon. Ils avaient développés des liens puissants, qui défiaient toute affiliation naturelle. Des liens semblables à ceux d'un frère et d'une sœur. Il devait les combattre, pourtant. S'il fuyait, Gladys tuerait Adel sans hésiter pour lui faire payer sa couardise, mais il n'avait aucune envie de tuer ces deux sudistes. Iyoh et les siens étaient loin...trop loin pour venir faire le boulot à sa place. Drôle de dilemme. Allait-il devoir vendre son humanité pour pouvoir encore la revoir ? Il vit le prince tenter de rassurer sa disciple, faisant preuve d'une douceur rassurante. Et il comprit. Tout cela ne le concernait pas. Il ne recherchait pas à être heureux. Tout ce qui l'importait, c'était de la savoir en sécurité, or cela ne dépendait aucunement de l'endroit où elle se trouvait. La seule chose qui pouvait la compromettre était son existence. Tant qu'il vivrait, il ferait face à des dilemmes comme celui auquel il était confronté. Tuer des innocents, ou laisser mourir Adel. Ou se laisser mourir. Un large sourire se peignit sur son visage tandis qu'il tirait un carreau volontairement maladroit. Il ne ressentit aucune douleur lorsque l'acier entailla sa chair. Cette fille savait ce qu'elle faisait...c'était un coup net. Un coup létal. Un coup salvateur.

Iyoh se réveilla en sursaut, à quelques lieues au Sud d'Artesia. Encore un de ces cauchemars. Pourtant, cette fois-ci, il ne concernait ni Gladys, ni Edwig. Étrange. Les rares bribes qui lui revenaient étaient plus joyeuses. C'était certain, il avait rêvé à un être désespéré, à une Ombre, mais celle-ci avait une lumière qu'eux n'avaient jamais eu. Peu enclin à retrouver le sommeil, Tzumihi reprit sa route vers Karielle.
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MessageSujet: Re: Au coin du feu   Au coin du feu Icon_minitimeMar 9 Déc - 22:29

Iyoh avait continué sa route, inlassablement, s'approchant peu à peu de sa destination sans être convaincu de ce qu'il voulait. Au final, ces années de réflexion ne lui avaient été d'aucun secours une fois libre, dans ce monde qui lui était hostile. Il avait pourtant tenté de jouer carte sur table, de se repentir, de venir en aide à Valato. Mais la rumeur de la destruction de Rednow n'avait pas mis longtemps à se répandre. Ainsi, le plan de Solunthes avait totalement échoué. Pire encore, il n'avait fait qu'aggraver la situation. Si même un griffon avait été vaincu, que pouvaient-ils espérer faire désormais ? Rien en quoi lui serait utile, en tout cas. Il avait trahi Edwig, son seul allié fiable. Peut-être même pouvait-il parler d'amitié, si tant est qu'une telle relation soit applicable dans le cas des Ombres. Après tout, certains d'entre eux s'étaient montrés capables d'aimer. Beaucoup avaient commencé une nouvelle vie. Ceux qui, évidemment, étaient en bas de l'échelon durant la guerre. Les responsables, eux, ne pouvaient être graciés. Telle était la vie qui l'attendait, une fuite éternelle et fébrile. Il n'avait aucun but, cependant un espoir l'animait. Il ne s'était pas dirigé vers le Nord à tout hasard, bien que l'éloignement des contrées méridionales ne lui déplaise pas. C'était vers sa ville natale qu'il se dirigeait, vers Karielle. Il y avait une personne qu'il tenait à revoir avant de décider de la suite des événements. Plus il approchait, plus ses craintes et ses doutes s'amenuisaient, pour laisser place à une terrible appréhension d'une toute autre nature. Et si elle l'avait oubliée ? Si elle était morte ? Si elle l'avait renié. Il était devenu un monstre, un être de violence et de haine. Un simulacre d'humain. Un jouet qu'on avait façonné. Il ne voulait pas se présenter à elle ainsi, refusait de lui annoncer ce qu'avait été sa vie jusqu'à lors. À quel moment avait-il donc cessé d'être ce petit garçon ambitieux et déterminé ? Peut-être ce jour-ci, où il ne s'était pas rebellé. Ce jour où il avait regardé un camarade se faire flageller sous ses yeux. Peut-être au moment où il avait, comme tous ses amis, commencé à aimer Gladys Engels. Et en fin de compte, c'était son ennemi qui lui avait fait ouvrir les yeux, qui lui avait fait comprendre qu'il pouvait être quelqu'un de par lui même. Alors il avait été quelqu'un. Il avait agi de sa propre initiative, avait tenté de faire ce qui était le mieux pour guider ses compagnons, dont il ne restait que des tessons. Il avait vu Éléonore mourir. Une fille qu'il connaissait depuis qu'ils étaient enfants. Une fille qu'il avait frappé sans relâche lors de leurs entraînements. Il avait versé une larme pour chaque coup qu'il fut forcé de lui infliger, en secret, lorsqu'on le laissait seul. Elle aussi avait été son amie. Si elle avait survécu à Gladys, sans doute n'aurait-il pas guidé les Ombres. Oui, c'était certain. Il aurait essayé de vivre, avec elle. Même s'il n'éprouvait aucun amour pour elle. Cela serait venu, avec le temps. Mais il aurait au moins pu essayer. Puis il avait vu Kuzon mourir. Kuzon qui les avait si souvent soutenu, qui avait si souvent été châtié à leur place, avec le sourire. Désormais, il avait également perdu Edwig. Alors voilà donc ce qu'il lui dirait. Qu'il avait essayé de vivre. Qu'il n'avait pas réussi.

Iyoh avançait, le dos droit, levant haut les genoux à chaque pas pour surmonter les obstacles enneigés. Il avançait, enroulé dans une cape qui dissimulait son visage en ne laissant paraître qu'une barbe harmonieuse et des mèches sombres. Il avançait, sombre silhouette dans un univers immaculé, laissant derrière lui pour seule preuve de son existence d'éphémères traces. Il avançait, puis disparaissait dans le blizzard, tel un esprit de l'hiver, solitaire, apathique. Il avançait et pleurait en silence. Cela faisait peut-être deux, trois jours qu'il ne s'était pas nourri et ne s'était pas accordé de repos. Jours, nuits, ne faisaient pas de différences. Pas pour un spectre, à qui l'on n'avait enseigné l'épuisement. Pas pour le roi des sombres cauchemars. Pas pour un monstre. La voilà, la réalité. Il avait tué sans relâche. À Neims, il avait assassiné vieillards et enfants par dizaines, les abattant comme du bétail à tour de bras. Hommes du Nord, hommes du Sud, il n'avait fait aucune différence. On lui avait ordonné de rendre l'aube pourpre, et il avait visé l'écarlate avec délectation. Puis il avait chassé sans relâche un petit groupe d'aventuriers maladroit. Il avait pris plaisir à les voir le craindre, à les observer se débattre dans le vain espoir de lui échapper, à lui, le prédateur suprême. Il avait déchaîné sur eux les feux du démon, et ils l'avaient vaincu. Pourquoi ? Comment ? La mort était l'essence de son existence. Tout son être n'était dédié qu'à cela. Nul au monde ne pouvait prétendre le tenir en respect. Et un idiot de prince l'avait fait, à deux reprises. Quelle était donc sa réponse ? Où avait-il tiré sa force ? Était-ce le simple fait d'avoir quelque chose à protéger qui l'avait transcendé ? Longtemps, Iyoh n'avait pas compris. Mais aujourd'hui il voyait. Tous ces sentiments, ces espoirs, ces projets. Ces idéaux, ces convictions. C'était ça, vivre. C'était ça qu'on lui avait dérobé. Et c'était à présent la seule chose qu'il désirait. Comprendre ce qu'il en était de se sentir vivant, ne serait-ce qu'un instant. Comprendre ce que c'était de tenir réellement à quelqu'un, suffisamment pour se battre pour cette personne ; non pas en y étant forcé, mais en le désirant. Et ce ne serait pas elle, il le savait, mais il tenait à la voir, une dernière fois. Lorsqu'il arriva à Karielle, il respira l'air à plein nez. Il ne se souvenait plus de cette odeur iodée. Dans ses souvenirs, le village était en montagne, pas sur le littoral. Et dans ses souvenirs, il s'agissait d'un village et non d'une ville. Les choses changeaient. Mais il était certain de se souvenir d'une chose : il vivait autrefois ici. À l'entrée. Et elle y vivait encore. Du haut de la colline, il la vit, emmitouflée dans une épaisse fourrure, jouant dans le jardin avec deux marmots. Bientôt, un homme aux larges épaules vint passer un bras autour de sa taille et l'embrasser tandis que les petits entreprenaient de bâtir quelque sculpture immaculée. L'ombre en haut de la colline cessa de pleurer et sourit enfin. Alors elle avait refait sa vie. Elle avait un nouvel homme, et elle l'avait remplacé, lui, son fils unique. Elle était passée à autre chose. Elle avait décidé de vivre. Lorsqu'elle leva les yeux dans la direction où elle avait cru voir quelqu'un, il n'y eut que les arbres aux branches nues et le son de la brise. Elle ne sut pas qu'elle avait donné une énième leçon à son rejeton, en étant simplement heureuse.
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