Une nouvelle quête pour les ombres...

Ils étaient partis depuis près de cinq heures. Ils étaient cinq, dont l'ancien petit groupe Irvine, Iyoh, et lui même. Edwig avait été satisfait de voir que le fils de Vrag ne s'était pas tourné les pouces. En effet, il le prenait depuis longtemps comme un incompétent, mais il semblait avoir des dons certains pour récolter des informations. Sa place n'était pas sur le terrain, mais il avait au moins montré son utilité. Iyoh lui avait promis un compte rendu de ce qu'ils avaient découvert, ce soir, lorsqu'ils auraient installé le feu de camp. Leur planque se trouvant très proche d'Hovo, ils avaient traversé les frontières du pays neutre quelques heures auparavant. Le soleil commençait à se coucher, et le Hurleur n'avait aucune idée de la distance où ils se trouvaient par rapport à leur objectif... Ils s'arrêtèrent dans une forêt couverte, ou leur feu, si il ne se propageait pas, passerait inaperçu. Une fois installé, Edwig se permit enfin de poser une question :

- Alors, qu'est ce qu'on chercher, et où on le cherche, patron?

Après plusieurs jours de voyage, ils arrivaient enfin près de leur objectifs. Les deux autres hommes accompagnant le groupe étaient respectivement jongleur et guérisseur. L'ensemble donnait un groupe assez hétérogène, parfait pour affronter n'importe quel type de situation. Cela n'était qu'un détail, mais Iyoh avait remarqué que depuis la mort de Gladys, le nombre de femmes chez les ex-Ombres avait considérablement chuté. Après tout, peu importe: à part leur ancienne chef, il avait toujours jugé les femelles largement inférieures aux vrais guerriers. S'installant en tailleur près du feu et fourrant ses mains gantées dans les poches de son long manteau d’aristocrate, il répondit à la question susceptible d'intéresser tous les membres présents.

-Une bâtisse se trouve un peu plus à l'Est, à quelques heures de marche. Nous ne savons pas ce que nous y trouverons exactement, mais il faut nous préparer à combattre un porteur d'artéfact, pour lui dérober son dû.

En prononçant ces derniers mots, un sourire carnassier s'était figé sur le doux visage du jeune homme. Les artéfacts, initialement présentés comme les objectifs d'une quête annexe, étaient devenus sa principale préoccupation. Il était absolument persuadé, vu son degré d’excitation, de sentir la proximité de leur cible. Il lui en fallait un, à tous prix. Il fallait qu'il augmente sa puissance, afin de pouvoir prendre sa revanche sur Snori, puis de vaincre Laly et Melody à armes égales, prouvant une bonne fois pour toute qui était le meilleur combattant de tout Valato. Ceci constituait son credo: vaincre.

Edwig fut ravi de la réponse que lui donna Iyoh. Ainsi, ils allaient peut être récupérer un artéfact. Cela ne pouvait être qu'un avantage pour les tueurs solitaires qu'ils étaient devenus. Un silence respectueux s'était installé à la révélation du leader. Tous savaient ce que signifiait l'appui d'un artéfact. Tous savaient les ravages qu'avait fait Gladys Engels, et avaient connaissance du combat qui avait eu lieu entre elle et Inès Vrag. L'obtention d'un objet d'une telle puissance donnerait une toute nouvelle dimension aux ombres, et donnerait peut être lieu à un recrutement plus actif. Ils auraient enfin une grande influence sur ce monde ravagé par la guerre.

Les hommes se couchèrent tôt, afin d'être en pleine forme le lendemain. Face à un porteur d'artéfact, ils auraient sans doute un rude combat à mener. Heureusement, tous étaient des plus compétents dans leur domaine, et le fait de surprendre le porteur leur donnerait sans doute la victoire. Le soleil arrivait à son zénith lorsqu'ils arrivèrent enfin à la bâtisse dont avait parlé Iyoh. Ce n'était guère plus qu'une ruine bringuebalante, avec des fenêtres d'un rouge délavé et du lierre envahissant tous les murs. Même de loin, on pouvait voir que la maison n'était pas habitée, du moins pas d'apparence. Des tuiles manquaient sur le toit, toutes les vitres semblaient cassées. Néanmoins, de solides barres de fers empêchaient de passer par les fenêtres, et la seule porte semblait assez solide. Faite en chêne massif, elle leur poserait sans doute beaucoup de problèmes. Sauf si ils utilisaient de la poudre à canon pour faire sauter les essieux, solution que privilégiait Edwig, en cas d'absence d'ennemis. Il était discrètement allongé sur l'herbe, une sorte de pétoire à la main, dirigée vers la maison. Bien que la fiabilité de ces armes soit loin d'approcher les 100%, il les trouvaient plus puissantes et maniables que ces lourdes arbalètes dont il avait usage d'habitude. Le seul soucis était sans doute le rechargement, qui devait bien mettre une trentaine de secondes. Ne voyant personne à l'horizon, Edwig demanda :

- Quand devons nous passer à l'action, chef? Pas de signe de vie...

Le Hurleur était déçu de cette absence de signe de vie. Sans porteur d'artéfact, comment pourraient ils en récupérer un?

Irvine, comme à son habitude, n'avait pas adressé le moindre mot à ses coéquipiers durant le voyage. Il faisait parti de ce type de personnes qui n'aimaient pas franchement parler, mais sa discrétion résidait aussi dans l'ambiance pour le moins survoltée de ses camarades. Iyoh dégageait, comme à son habitude, une intelligence à la fois cruelle et profondément violente, tandis que l'antipathie et la force d'Edwig accentuaient le mal-être du fils de Vrag. D'ailleurs, depuis quelques temps, Irvine pensait de plus en plus à son père et à sa sœur. Ses relations familiales n'avaient jamais été aimantes et détendues, mais il avait été contraint de supporter les reproches et l'autorité exacerbées d'Igole et aux actions révoltées d'Inès. Peut-être que s'ils avaient été moins égoïstes l'un et l'autre, peut-être que si sa mère n'était pas morte et peut-être que si son père n'avait eu cette soif de pouvoir, tout aurait été différent. Finalement, cette situation en était presque comique : chaque membre de la famille Vrag avait pris un chemin différent de celui qui avait été tracé. Mais tout cela n'avait plus grande importance : il recherchait un artéfact à présent. A défaut d'être la fierté de son géniteur ou de n'importe qui, sa vie aurait au moins un intérêt quelconque pour lui-même.

- Quelle est le plan ?

Lentement, l'acier chuinta en jaillissant du fourreau dorsal du chef des anciennes Ombres. Ce dernier s'équipait depuis peu d'une simple dague, longue de quelques dizaines de centimètres, à laquelle il ajoutait une énergie électrique propre aux trancheurs. Comparé aux équipements impressionnants de ses camarades, il semblait bien fluet, mais n'en perdait pas en efficacité. Son petit gabarit lui permettait en effet de se déplacer en silence puis de surprendre ses cibles, pour les tuer d'un simple coup en leur tranchant la gorge dans un revers meurtrier, à moins de leur passer simplement l'intégralité de son arme à travers la nuque. Son don lui accordait bien des avantages, dont le premier était la possibilité de trancher la chair humaine aussi facilement que du beurre. Allongé à même le sol, il lança un rapide coup d'œil aux alentours, et en arriva aux mêmes conclusions que le colosse hurleur: personne en vue. D'un geste de la main, il leur intima de rester couchés.

-J'y vais. Edwig, tiens toi prêt à siffler. Darwin, installe tes explosifs autour de la maison pendant que j'y pénètre. Flint, tiens toi prêt à maintenir le porteur d'artéfact en vie si nous le blessons trop, nous aurons besoin de l'interroger. Irvine...ne fais pas de bêtises.

Après avoir passé ses quelques ordres, Iyoh se dirigea vers l'habitation, accroupi, sans faire le moindre bruit. Faisant preuve d'une discrétion similaire, le dénommé Darwin installa des pointes incandescentes propres aux jongleurs autour de la bâtisse. Le trancheur y pénétra, et put découvrir un intérieur laissé à l'abandon depuis au moins plusieurs années. Des toiles d'araignée se joignaient entre les portes et le plafond, tandis que des gouttes d'une eau opaque tombaient du plancher de l'étage supérieur. Il fouilla la maison de fond en comble, montant dans le grenier insalubre par une échelle ne possédant presque aucun barreau, sortit, fit le tour par l'extérieur, toqua sur les murs pour voir s'ils étaient creux. Rien. Il avait beau fouiller, étaler sa volonté puis la conjuguer avec sa folie, mais il ne trouvait pas le moindre artéfact ou le moindre ennemi. Pourtant, il ne pouvait pas admettre qu'ils avaient fait ce voyage pour rien. Les recherches sur les anneaux, les témoignages, le dossier d'Irvine, tout concordait, alors pourquoi n'y avait-il pas d'artéfact ici?

-Il n'y a rien... dit-il simplement, dépité, en revenant vers ses camarades.

- Rien du tout? répondit Edwig, déçu...

Face à une telle attente, et une telle préparation, il se s'était attendu à un combat épique. Et non, ils se retrouvaient juste face à une vieille maison déglinguée sans aucun intérêt...

- Merci Irvine! Comme toujours, tu nous as été très utile...

Donnant un coup de pied dans l'herbe, il fit s'envoler une motte d'herbe à une vingtaine de mètres de distance. Il avait l'impression d'être inutile! Pendant le combat contre Gladys, il n'avait fait que recevoir des coups. Ensuite, il n'avait fait que traîner dans la salle de musculation. Et maintenant qu'ils avaient enfin une mission, elle se déclarait être totalement vide de sens! Montant sur son cheval, il s'apprêtait à partir seul, en direction de dieu sait où lorsqu'il se dit qu'un détail avait peut être échappé à Iyoh. Une latte qui se décolle, une poignée secrète, ou toute autre chose... Il se savait bien moins compétent que Tzumihi à ce sujet, mais il ne voulait pas avoir fait ce chemin pour rien. Il se dirigea au galop vers la maisonnée et mit pied à terre. A l'extérieur, il essaya d'observer chaque détail. Malheureusement, il ne perçu rien d'anormal. Le Hurleur ouvra ensuite la porte, regardant le bois abîmé et sculpté. Rien ne semblait indiquer la marche à suivre. Il continua son observation et plaça un pied sur le seuil de la porte. Dès cet instant, il eut l'impression de ressentir un sifflement presque familier qui sonnait comme une musique à ses oreilles. Retirant aussitôt son pied, le bruit s'estompa.

Edwig prit une grande bouffée d'air frais puis rentra subitement dans la porte. Faisant deux grandes enjambées, il se retrouva au centre de la pièce. Le sifflement avait repris, non pas plus fort, mais de manière plus mélodieuse. Tournant en rond autour de la salle, il toucha les murs, se cogna contre le lustre délabré au plafond, et arracha d'une main une des fenêtres pour voir si elle ne cachait pas un trésor. Puis il s'accroupi et observa le carrelage. C'est de la que semblait venir la musique étrange. Il s'allongea et mis sa tête contre un carreau. Le hurleur espéra que personne n'entrerait alors qu'il était dans cette position... Il se mouva plus ou moins souplement autour de la salle, se rapprochant peu à peu de l'endroit d'où provenait la mélodie. Il se leva soudain et dégainant sa hache, donna un violent coup sur le sol. Il n'en fallut pas plus pour faire voler en éclat le carrelage. En dessous, il trouva un étrange tissu, d'une matière qu'il ne connaissait pas. Sitôt qu'il l'eut touché, un être au corps de guerrier et à la tête de félin apparu et déclara :

- Je suis Athis. Je t'attendais...

Le Hurleur était bouche bée. Mais déjà, ses compagnons semblaient arriver en renfort, face au violent coup qu'il avait porté à la bâtisse...

Lorsque les dalles recouvertes d’une mousse fine volèrent en éclat, une flopée de rapaces s’envola depuis le toit en lambeaux de la bâtisse, depuis un perchoir invisible de l’intérieur pour quiconque ne connaîtrait pas parfaitement cette maison. Au nombre de quatre, ils virevoltèrent tous vers des directions différentes, avant de prendre de la vitesse puis de disparaître à l’horizon, transperçant les nuages pour se camoufler en leur sein. Ces messagers furent parfaitement dressés par leur maître pour être le plus efficaces possible, pour acquérir un instinct de survie frôlant la perfection. Les objectifs avaient été très largement atteints. Vif d’esprit, Iyoh comprit que quelque chose ne tournait pas rond. Il fallait à tout prix se débarrasser de ces volatiles avant qu’ils n’aillent prévenir quelque autorité.

-Darwin !

Tout aussi réactif que son mentor, le jongleur fit un chassé, puis envoya au loin l’une de ses pointes explosives. Vu la distance, celle-ci manqua sa cible, sans la moindre surprise. Le jeune homme poussa un léger soupir de déception, très vite accentué par le véritable râle rageur du trancheur. Le principal atout des nouvelles Ombres était leur discrétion, l’anonymat préservé depuis des semaines. Si ces volatiles parvenaient à destination, ils ferraient voler tout cela en éclat, sans que la moindre répartie de leur part soit possible. De toute manière, il était déjà trop tard : autant se donner corps et âme à la recherche de l’artéfact, afin de pouvoir contre-attaquer lorsqu’ils serraient découverts. Rapidement, la petite troupe se dirigea vers Edwig, constatant bouche bée que celui-ci faisait face à un avatar. Ce dernier ne ressemblait en rien à Belwur, prenant une forme hybride entre un être humain et un animal des plus vulgaires. Malgré tout, il s’en dégageait une aura pour le moins imposante. Iyoh aurait désiré placer une remarque, s'emparer de l'objet de toutes ses convoitises, mais la situation ne pouvait pas porter à confusion: l'artéfact revenait au hurleur. Pour une fois, le chef des Ombres se mit volontiers en marge du centre de l'action. Ce ne fut pas le cas de Flint, le guérisseur du groupe, visiblement subjugué par le dénommé Athis. En prenant un pas d'élan, il poussa sans vergogne Edwig.

-Pousse-toi, gros lard! C'est forcément moi l'élu!

À quelques kilomètres de là, observant la scène depuis une petite maison perchée sur la colline bien plus salubre que celle en contrebas, Orion et Oswald observaient la scène avec étonnement. L'hovoïte pensait réellement que cette cachette en resterait une bien plus longtemps; il se trompait visiblement. Prenant le fourreau posé sur la table extérieure, il le cala dans son dos, sans y glisser la moindre lame, et lança un simple regard à son vieux compagnon, semblant stupéfait. Le général nailikan ne pensait pas non plus que les ex-Ombres leur causerait des problèmes aussi vite. Il aurait bien aimé pouvoir accompagner le trancheur pour combattre, mais celui-ci semblait bien décidé à réparer ses erreurs seuls. Alors qu'il était sur le point de partir, Offtaür jaillit du néant, suite à un simple scintillement de la boucle d'oreille d'Oswald.

-Ne faites pas n'importe quoi, dit-elle. Vous ne pouvez pas gagner contre ces hommes, bien plus expérimentés et en meilleure condition. Les autres seront prévenus, nous irons récupérer Athis ensemble.

Orion s’apprêtait à rétorquer qu'il était en âge de faire ce que bon lui semblait, lorsque une fumée grisâtre s'échappa de son fourreau vide. Celle-ci se regroupa en un tourbillon de poussière, avant de prendre progressivement une forme bien distincte, qui finit par se tinter de quelques couleurs. Il s'agissait d'une adolescente d'une quinzaine d'années, à la peau incroyablement pâle et aux yeux d'un jaune brillant. Elle avait de longs cheveux noirs bouclés parsemées de méchés bleues, et portait une robe noire transparente par endroit. Elle avait autour du bras gauche un long gant ressemblant en tout point à ceux des mariées, à l'exception de la couleur. Offtaür n'appréciait pas cette petite, ayant hérité du même dédain que Nigfol, tinté en plus d'une certaine impertinence et d'une arrogance sans borne. En cela, elle ressemblait beaucoup à Belwur ou Ohihir.

-Nigdaoz, énonça l'artéfact d'Oswald non pas sans un certain cynisme. Qu'as-tu encore à dire, affreuse peste?

-Ce n'est pas parce que tu es trop faible pour affronter cinq débutants que mon Orion l'est aussi, misérable vermine!

-Ne sois pas stupide, et ne laisse pas ton porteur impertinent faire n'importe quoi.

-Je vous signale que ce porteur impertinent trouve cela assez vexant que l'on parle de lui comme s'il n'était pas là, les coupa Orion. C'est moi qui décide, pas toi, Offtaür.

Prononçant ces derniers mots comme une sentence, il se dirigea discrètement vers l'habitation en contrebas, tandis que Nigdaoz disparaissait non pas sans narguer silencieusement son homologue. Oswald poussa un léger soupir et lança un regard dépité à sa compagnonne. Il y avait quelques années de cela, il serait volontiers intervenu pour que ce jeunot se ressaisisse, mais le trancheur réussissait presque tout ce qu'il entreprenait. Il était difficile de l'admettre, mais il avait raison, car de tous les porteurs, il demeurait le plus compétent, dans tous les domaines. De toute façon, s'il combattait sérieusement, il n'aurait que très peu de chances de ne pas vaincre ses cibles.

Toujours immobile face à Athis, Edwig réagit au dernier moment. Il ne connaissait pas vraiment le soigneur, et était surpris que quelqu'un ayant eu la formation des Ombres agisse ainsi. C'était bien la preuve que les incompétents et égocentriques pullulaient partout. Sans rage aucune, le Hurleur se déplaça d'un pas, et d'un croche patte habile, mit à terre l'impertinent. Comme si il n'y avait eu aucune interruption, l'artéfact reprit :
- Revêt ce foulard, homme, et prépare toi à combattre. Ceux qui m'ont caché ici vont venir bientôt me reprendre, et ce n'est qu'avec la force que tu les empêcheras de reprendre ton dû.

Athis se tût ensuite. Il n'appréciait guère d'être "stocké" ainsi, comme une vulgaire arme, au bon vouloir de cette sombre confrérie. L'heure de la liberté viendrait bientôt! Suivant les instructions de la lionne, Edwig enroula le foulard autour de sa gorge. Sitôt qu'il entra en contact avec sa peau, le tissu se fondit avec l'épiderme du géant. Le hurleur jeta ensuite un regard vers Iyoh. Les dires de l'artéfact annonçaient un combat, qu'avec ses nouveaux pouvoirs, il comptait bien remporter! Tous sortirent de la maison, même le soigneur à qui l'humiliation avait du faire du bien se déploya dehors. Ils ne voyaient personne dans les environs, mais cela ne voulait rien dire. Edwig avait une envie folle de tester ses nouveaux pouvoirs, qu'il sentait au plus profond de lui, mais il avait peur qu'en agissant ainsi, il dévoile leurs positions. Il dégaina donc simplement sa légendaire hache à deux tranchants et attendit calmement. Malgré les évènements, il restait serein. Pourtant, le matin même, jamais il ne se serait douté qu'il détiendrait lui même un artéfact...

Dans cette maisonnée pour le moins délabrée, Irvine regarda avec des yeux ronds l'avatar face à eux. Totalement bouche bée devant un tel être, il n'osait rien dire, tentant simplement à quelques reprises de passer sa main à travers lui. Il avait maintenant la confirmation de la véracité des bruits de couloir : l'apparition d'un artéfact, en plus d'être immatérielle, était absolument fascinante. Comme un automatisme, il pensa à Inès et à Nigfol : si cette histoire avait pris une tournure différente, les réponses à ses questions auraient été différentes ... qu'importe ce qu'on pouvait penser de lui, sa soeur lui manquait terriblement. Oui, sa soeur lui manquait, et pas cette espèce de fille irraisonné et détestable qu'elle était devenue. Regardant avec interrogation et une certaine envie Edwig, ils sortirent de ce lieu.

Dehors, les rayons du soleil sur le tranchant de l'épée l'éblouissait, fermant à moitié ses yeux. Le silence s'était fait pesant, ni Iyoh, ni le trancheur n'osait parler et il en allait de même pour Irvine. Sans une certaine tension, il attendait le combat qui allait avoir lieu ...

Dissimulé derrière un grand rocher, Orion lançait quelques coups d'œil discret vers la position de ses cinq ennemis. Il ne pouvait pas encore en juger avec précision, mais selon lui, seuls trois étaient dangereux. Il y avait le plus gros d'entre eux, possédant à présent Athis. Vu sa démarche, il n'avait aucune aptitude exceptionnelle au combat tout en restant un guerrier de bon niveau, mais la présence de l'artéfact faisait sans doute de lui le plus puissant de tout le groupe. Le jongleur également inspirait une certaine crainte à l'hovoïte, de par son apparente maîtrise parfaite de son pouvoir, lequel comptait parmi les plus destructeurs de Valato. Enfin, celui situé au centre, le plus petit, avec son long manteau d'aristocrate et son foulard blanc. Sa seule gestuelle prouvait qu'il était un épéiste confirmé, peut-être un des meilleurs qu'Orion ait eu l'occasion d’apercevoir. S'il voulait vaincre facilement, il devrait d'abord se débarrasser de ce petit trio. Il porta la main à son fourreau, referment lentement celle-ci sur une poignée invisible, avant d'arrêter son mouvement en plein milieu. Il avait un doute. Et si la découverte de l'artéfact par ces hommes faisait partie d'un processus juste? Après tout, eux aussi se battaient pour leurs idéaux, pour ce qu'ils pensaient être le meilleur. Comme une réponse à ce questionnement intérieur, Nigdaoz fit son apparition.

-Ces types sont profondément mauvais, autant qu'Athis, crois moi! affirma-t-elle, prenant un air des plus autoritaires.

-Le penses-tu vraiment? Ne serait-ce pas légitime de leur laisser cet artéfact?

-C'est justement parce qu'Athis est mauvais qu'on le cache. Oh, et puis arrête de réfléchir, fais moi confiance et va les tailler en pièce.

Elle tirait ce sourire d'ange, celui qui faisait fondre le trentenaire depuis des années. De tous les porteurs d'artéfact, il se considérait comme celui possédant la meilleur entente avec son avatar, ce qui était sans doute vrai, mais cela constituait également son principal défaut: Nigdaoz l'obsédait, lui faisait vivre un amour démentiel. Il ne pouvait pas se résoudre à la contrarier, d'autant plus qu'elle en savait autrement plus que lui sur Athis. Résigné, il tira d'un coup une lame invisible de son fourreau, laquelle devint tangible à la seconde ou il referma ses doigts sur le manche. Elle était constituée d'énergie électrique pure, comme lorsque les trancheurs emplissaient leurs armes de toute leur puissance. D'un bond, Orion se leva, et frappa le vide. Un arc de cercle bleuté jaillit du néant, fonçant droit vers la maison déjà bien amochée. Celle-ci fut tranchée en deux dans sa largeur, tandis qu'une quantité incommensurable de débris et de poussière s'élevait dans le ciel. Profitant de cette petite distraction, l'hovoïte fonça vers le groupe et tenta un coup à la verticale, lequel fut paré de justesse par Iyoh. Ce dernier, bien qu'également trancheur, put sentir la grande puissance de l'attaque. Il était tout simplement surpassé, et ne pourrait pas tenir très longtemps avant que son épée ne se brise.

-Edwig!!

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La scène se passa au ralenti. Edwig vit l'onde bleue foncer devant lui. Par réflexe, il sauta en l'air avec une puissance démultipliée par l'artéfact, évitant l'attaque mortelle. Derrière lui, la maison volait en éclat dans un vacarme assourdissant. Le Hurleur sembla flotter quelques instants dans les airs, avant de retomber lourdement sur le sol, un genou à terre. Sa hache était plantée dans le sol. Dans les mains du géant était apparu un bâton sculpté simplement, qui aurait pu paraître inoffensif, si une aura violette ne l'avait pas entourée. Sentant le pouvoir affluer en lui, l'Ombre se releva. Son visage semblait totalement neutre, mais ses yeux brillaient d'un éclat nouveau. Même Erlyn Elkhaid aurait hésité face à un regard comme celui-ci, il en était convaincu. Lorsqu'il entendit l'appel de Iyoh, il fonça sur leur adversaire. C'était manifestement un porteur d'artéfact. Conformément aux ordres, il fallait le maitriser. On pouvait voir dès le premier regard que l'homme était un trancheur. Une fois le combat terminé, ils auraient plus que réussi leur mission.

Bondissant vers Orion, il repoussa l'homme avec sa nouvelle arme. Epée de lumière contre bâton, les deux artéfacts semblaient se valoir. Enchaînant les coups, il essaya de surprendre son ennemi, utilisant les deux côtés de son arme, bondissant et exploitant au maximum ses nouvelles capacités. Malheureusement, face à un tel adversaire, cela ne suffisait pas. De plus, son adversaire utilisait régulièrement les capacités de l'artéfact, créant des ondes de choc qui risquaient de blesser ses alliés au bout du compte. Voyant ses difficultés, Athis se plaça à ses cotés et d'une voix étrangement envoutante déclara :

- Sens le pouvoir en toi! Il est à ta portée! Sers t'en!

Suivant ses recommandations, Edwig chercha au plus profond de lui l'essence de son pouvoir. Les siffleurs pouvaient briser les tympans de leurs adversaires. Mais lui, pouvait désormais plus. Contrant un énième coup de son adversaire, il inspira une grande bouffée d'air. Il sentit l'oxygène pénétrer ses poumons, s'imprégner de l'énergie qui y résidait désormais. Puis soudainement, il cria de façon violente, une simple syllabe.

- RAH!

Tout l'air sortit en un éclair de sa bouche, prenant une couleur bleutée, filant sur Orion. Son ennemi sembla s'envoler dans les airs face à tant de puissance. Edwig lui même était presque surpris d'un tel évènement. Il aurait pensé que son pouvoir avait été juste renforcé. Mais il n'en était rien. L'homme s'était envolé à plusieurs mètres de là, et déjà, le Hurleur retournait à l'assaut!

Toutes les craintes d'Orion se confirmèrent dès les premiers échanges. Enfermé depuis trop longtemps, Athis n'avait pas hésité une seule seconde à révéler ses pouvoirs à son tout nouveau porteur, en lui montrant la voie pour acquérir en toute légitimité son surnom de "hurleur". À présent, ses dons de siffleurs décuplés lui permettaient d'envoyer valser ses adversaires, pour peu que ceux-ci n'aient pas idée de ce qui les attendait, où qu'ils n'aient pas la force nécessaire pour encaisser le coup. Résigné à ne pas se laisser avoir par ce tout nouveau porteur, le trancheur se releva en se frottant le crâne, ce qui ne manqua pas de lui valoir une remarque désobligeante de Nigdaoz, toujours à l'affût de la moindre erreur de la part de son compagnon.

-Bien joué, idiot! Qu'est-ce que tu attends, détruis-le!

Poussant un léger soupir entre l'agacement et l'amusement, Orion tira une seconde lame du fourreau vide, puis se mit à fouetter furieusement l'air, créant des projections d'énergie à répétition. Il s'était toujours battu ainsi, en attaquant sans réfléchir, faisant voler en éclat ses adversaires sans leur laisser la moindre chance de se relever. À vrai dire, il n'avait jusqu'à lors jamais eu à affronter un autre artéfact, et ce combat se révélait bien plus dur que prévu. Si le colosse continuait de résister, alors il n'aurait sans doute pas d'autres choix que d'utiliser la seconde forme de Nigdaoz. Il savait pertinemment que l'adolescente n'appréciait pas d'être utilisée à pleine puissance, mais elle accepterait sans doute sans broncher si sa vie était en jeu. Dans le pire des cas, Oswald pourrait toujours intervenir.

Concentré sur Edwig, Orion en oublia l'existence des autres membres du groupe. Suivi par Darwin et Flint, Iyoh fonçait droit vers le second trancheur, par le flan droit. En guise de sommation, le jongleur envoya l'une de ses pointes incandescentes, contrée sans le moindre effort par l'hovoïte. Celui ci dut lever sa deuxième lame pour contrer celle du chef des Ombres, tandis que le guérisseur attaquait par derrière. Mis en position difficile, le trentenaire exécuta une pirouette impressionnante, infligeant d'un seul mouvement des blessures à ses trois adversaires sans néanmoins réussir à en handicaper aucun. Il envoya une énième onde magique vers ses ennemis, qu'Iyoh parvint à absorber dans sa propre lame, par un procédé dont il ne pouvait expliquer le ressort. Toute cette énergie accumulée se libéra en un unique éclair, montant en flèche vers le ciel soudainement assombri. Au loin, le tonnerre grondait.

-Est-ce donc là tout ce dont vous êtes capables? les nargua Orion, en se remettant en garde.

Accompagné d'Offtaür, Oswald observait le combat, indécis. Devait-il intervenir en faveur de son allié, ou plutôt rester passif, comme la morale lui ordonnait de le faire? Ces derniers temps, il commettait bien trop d'erreurs. Il se redressa lentement, en étirant les articulations douloureuses de son dos. Ce n'était plus de son âge, tout ça.

- On verra, quand tu seras mort, si tu es capable de beaucoup de choses Orion Délafi! rétorqua méchamment Athis.

Il fallait dire que l'artéfact n'avait pas beaucoup apprécié le comportement de l'Hovoïte. L'homme, sur un coup de tête, avait jugé préférable de l'isoler, de le cacher de tous. C'était principalement de sa faute si les artéfacts étaient dissimulés et se faisaient si rares, ces derniers siècles. Une vingtaine de ses confrères avaient été comme lui cachés, par le simple désir d'hommes et de femmes qui se croyaient sages! Heureusement, ce temps était bientôt fini. Il avait lu en Edwig que le but de son organisation était de récupérer des artéfacts. Il l'aiderait au mieux!

Pendant ce temps, revigoré par les paroles d'Athis, le Hurleur déploya toutes ses capacités. Se faisant plus violent que jamais, il enseveli Orion sous les coups de bâtons, utilisant parfois ses poings et ses pieds, parfois sa voix. Au fur et à mesure qu'il se servait de ses pouvoirs, il se rendait compte qu'un murmure donnait des résultats bien différents d'un hurlement. Ces changements subtils rendaient ses attaques "orales" relativement imprévisibles. Fauchant les jambes de son adversaire, il lui sauta dessus et mis son bâton sous la gorge du détenteur d'artéfact.

- Lâche ton arme!

L'aura violette de son arme se reflétait sur tout le visage de son ennemi. Nul doute que le bâton n'avait pas un effet bienfaiteur sur leur ennemi!

Finalement, il avait mal jugé Edwig. Sous ses apparences de balourd maladroit se cachait un guerrier aguerri, visiblement renforcé par de très longues heures d'un entraînement intensif. En théorie, Orion aurait pu, aurait du le vaincre; mais la présence des quatre autres combattants était compromettante. À cause d'eux, il fut fauché, et se retrouva à terre, en mauvaise posture. Il pensa à se relever d'une habile pirouette, mais déjà la lame étincelante d'Iyoh rejoignit Athis en se plaçant près du visage du trentenaire. Cet autre trancheur abordait une expression absolument épouvantable, un parfait mélange entre une cruelle intelligence et un sadisme malsain.

-Alors tu es bien Orion Délafi. Tu vas nous dire tout ce que tu sais si tu ne veux pas vivre les pires souffrances imaginables.

Il ne parlait pas seulement de le mutiler, mais aussi de tortures mentales. Ils pourraient par exemple le faire prisonnier puis l'emmener partout à leurs côtés, afin qu'il puisse voir de ses propres yeux son peuple être massacré. Lui qui se prétendait un chevalier blanc, rien ne serait sans doute pire à ses yeux que de devoir subir un spectacle aussi affreux. Dans tous les cas, ils ne manquaient pas de moyens de le faire parler, quoiqu'il sache. La première chose à faire restait de lui ôter son artéfact. La nature de celui-ci ne faisait plus aucun doute: il s'agissait de ce fourreau vide, accordant à volonté des lames tranchantes à son porteur. Iyoh se délectait d'avance des usages qu'il pourrait en faire. Réfugiée au fin fond de son habitacle matériel, Nigdaoz cherchait une solution pour ce sortir de ce pétrin sans avoir à s'aider de cette idiote d'Offtaür. Malheureusement, au vu de la situation, Orion ne pourrait rien faire sans être tué dans la seconde. Déçue de devoir en arriver à cet extrême sans même avoir eu recours à la seconde forme, elle entra en communication avec son homologue. Aucune parole ne fut échangée, pourtant, l'ondine comprit immédiatement de quoi il était question, d'une façon bien plus précise que si des phrases avaient été prononcées.

-Oswald, ils ont besoin d'aide, dit-elle, l'air inquiète.

-Ouais, je vois ça. Vraiment, ce gamin fait n'en fait qu'à sa tête.

Agrippant son bâton à peine apparu, le vieux général fit se déverser un véritable torrent sur la pente de la colline, en la transformant progressivement en glace. Une fois que l'eau eu presque atteint le groupe d'ennemis, il sauta sur sa piste aqueuse, glissant sur le liquide gelé à une vitesse prodigieuse. Arrivé en fin de parcours, il envoya d'un revers de son arme un jet d'eau prodigieux sur le colosse et son chef, les séparant ainsi de son camarade. Continuant son geste entamé, le givrer fit tournoyer son bâton, tandis que l'eau suivait les mêmes trajectoires que celui-ci, quelques mètres derrière. Lorsqu'il donna un semblant de coup d'estoc dans le vide, le liquide alla s'écraser sur les cinq Ombres, les emprisonnant dans la seconde en redevenant solide. Ils étaient à présent tous cloués au sol, dans cette pathétique prison de glace. Orion se releva d'un coup, tandis que Nigdaoz lançait un regard emplie de reconnaissance et de dédain à son aînée. Déjà, le trentenaire se préparait à donner le coup final à ces cinq hommes en les coupant en deux d'une seule attaque, mais il s'arrêta en sentant la main d'Oswald se poser sur son épaule, fermement.

-Nous avons perdu cette fois-ci, Orion. Ils ont trouvé l'artéfact de façon tout à fait légitime, laissons-les et en-allons nous.

Sans la moindre bonne volonté mais ayant conscience de la justesse des propos du général, Orion fit disparaître ses lames électriques, puis partit d'un pas rageur, suivit par l'avatar qui faisait sa tête des mauvais jours. En lançant un ultime regard à leurs adversaires immobilisés, Oswald rejoint son compagnon, et ils disparurent bientôt ensemble à l'horizon. À présent, les choses étaient claires: il fallait rejoindre Nora, car ils n'avaient plus rien à faire en Hovo. Le vieux givreur se dit que l'amour réciproque entre Nigdaoz et son porteur les détournait du droit chemin, mais ne se permit aucune remarque, ne sachant pas vraiment s'il devait s'amuser ou se plaindre de cette situation. Ils allaient bientôt rejoindre Ohihir, et lui saurait quoi penser de tout cela.

Un deuxième porteur d'artéfact intervint soudain, alors qu'ils venaient de maîtriser Orion Délafi. Déversant un liquide glaciale sur eux, il les gela sur place. Il n'avait fallu que quelques secondes au nouvel arrivant pour renverser le combat à son avantage, et Edwig se pensait déjà condamné quand Orion intervint en leur faveur. Le Hurleur ne comprenait absolument pas le comportement de cet homme. Il voulait d'abord les tuer, puis les épargnaient alors qu'ils étaient à sa merci. Il devait bien se douter qu'ils se reverraient et s'affronteraient de nouveau, en agissant de cette manière.

Leurs deux ennemis les laissèrent prisonniers des glaces. Ils ne furent bientôt plus qu'un point dans l'horizon. Décidé à se libèrer, le Hurleur siffla d'une façon caractéristique, produisant dans l'air des vibrations qui auraient rendu fous ses alliés si leurs oreilles n'avaient pas été protégées par de la cire. Très vite, le bloc de glace se fissura, les libérant de son emprise. Tous grelottants, ils s'éloignèrent de la masure réduite en miette pour rejoindre les bois. Ils allumèrent un feu afin de ne pas mourir de froid en ce mois de janvier glacial. La petite troupe était silencieuse, mais tous regardaient Athis, debout à la droite d'Edwig. Ils avaient subi une défaite aujourd'hui, mais leurs gains avaient été énormes!

En temps habituel, Iyoh aurait éclaté de colère, mais il fallait rester pragmatique: la mission était un succès total. En effet, l'objectif initial, c'est à dire récupérer l'artéfact qu'ils pensaient dissimulé dans la bâtisse désormais détruite, avait été rempli. Qui plus est, leur compagnon intangible semblait vouloir coopérer avec eux sans poser de question, ayant un appétit guerrier aussi grand que celui de Belwur lorsque Gladys était encore en vie. Frigorifié, le trancheur grelottait dans son long manteau, tout en s'approchant le plus possible des flammes, quitte à s'en brûler.

-Alors, qu'est-ce que ça fait? demanda-t-il à Edwig.

Il parlait bien évidemment de la sensation lors de l'utilisation d'un artéfact. Quelque part, il le jalousait un peu, car lui aussi aurait aimé acquérir plus de puissance, d'autant que l'artéfact d'Orion avait été à sa porté quelques secondes. Il avait pu distinguer son avatar, laquelle ressemblait à s'y méprendre à une adolescente provocante. Il pensait que les artéfacts étaient tous des monstruosités inhumaines, mais il avait finalement encore beaucoup de choses à apprendre.

Edwig mit quelques instants à répondre. Il n'était pas facile d'expliquer avec des mots la manière dont il sentait la présence de l'artéfact. Il se sentait à la fois plus fort et plus puissant, mais aussi, paradoxalement, plus intelligent. Pendant toute sa vie, on l'avait mis dans la catégorie des hommes de mains, utiles uniquement dans la force. Aujourd'hui, avec Athis, il se trouvait plus conscient de tout ce qui l'entourait, ses réflexions semblaient plus rapides. Peut être n'étais ce qu'une impression, mais le Hurleur était convaincu que ce n'était pas le cas.

- Je ne saurais l'expliquer. Je sens de nouvelles capacités se développer en moi, mais elles sont encore difficiles d'accès. Et puis, mes capacités de siffleur ont décuplé...

- Suffit de tergiverser! intervint Athis. Sortez moi une carte de Nailika, je vous indiquerai un endroit où vous devez vous rendre immédiatement!

L'artéfact avait un plan, cela se voyait dans ses yeux de félin. Il allait tout faire pour obtenir ce qu'il voulait, mais en attendant, il fallait rendre son porteur et ses alliés plus aptes. Et il savait exactement comment procéder!

Iyoh n’aurait su l’expliquer, mais cet artéfact hybride lui inspirait une certaine confiance, du fait du charisme démentiel que ce dernier dégageait. Il ne le savait pas, mais cette impression était commune à tous les autres membres du groupe, à l’exception peut-être d’Edwig. Le colosse semblait dors et déjà comprendre son compagnon, bien qu’il ne le connaisse que depuis quelques minutes. Cela n’étonna même pas le trancheur, finalement habitué aux duos pour le moins insolite formés par les porteurs et leurs objets mythiques. Si Athis affirmait pouvoir les aider, il fallait se jeter sur cette voie, aussi dangereuse soit-elle. En fouillant un peu dans un sac laissé sur place, le chef des Ombres trouva une carte assez précise, et l’étala sur une petite table en bois.

-Voici notre meilleure carte. Où devons-nous nous rendre?

Pour Darwin, voir son mentor attendre des ordres fut un véritable choc. Iyoh Tzumihi, le modèle parmi les leurs, celui ayant pris le pouvoir puis ayant été élu, sans doute le plus doué d'entre eux, auquel ils vouaient tous une admiration sans borne, se mettait à genoux devant une entité intangible pour attendre qu'elle lui accorde ses directives. Jamais, ô grand jamais, il n'avait agi de la sorte, lui qui était si fougueux. Cela ne pouvait signifier qu'une chose: cet Athis faisait à présent office de véritable leader parmi eux. Le trancheur perçu le trouble de son compagnon, mais n'en fit pas le moindre commentaire, se contentant de sourire en coin. Lui se servait de l'entité millénaire, non pas le contraire...

Athis voyait bien les rivalités entre les membres du groupes, dans leur manière de se conduire, ainsi que dans leurs regards. Il faudrait sans doute faire la peau du guérisseur à un moment ou un autre. Mais ils avaient néanmoins bien du temps avant de s'en préoccuper. Imperturbable, l'artéfact indiqua un endroit situé à une dizaine de lieux au sud ouest de leur position.

- Rendez vous ici.

Puis il disparu dans un nuage de fumée, alors que les hommes se préparaient à partir. La pause avait été bien courte pour eux. Heureusement, leur formation leur permettait de tenir bon. Bien vite, leurs chevaux repartirent en direction de l'endroit indiqué par Athis. Peut être qu'un autre artéfact les attendaient là bas...

Lorsqu’ils furent arrivés près de leur destination, Iyoh observa le point donné sur la carte, jeta un regard aux alentours pour trouver leur position actuelle, et put en conclure que leur nouvel objectif ne se trouvait pas loin d’ici. Néanmoins, un problème persistait, d’une ampleur considérable. Au cours du combat concis, il avait reconnut le second homme, le plus âgé : Oswald Schimp, le général renégat. Ayant rejoint les forces ennemies, il pourrait leur apporter des informations essentielles à propos de leur armée, de leurs infrastructures, des membres les plus influents des conseils de guerre. Certes, les Ombres n’étaient plus rattachées à Nailika, mais cela n’empêchait pas le trancheur de se faire du souci pour sa famille, avec laquelle une certaine attache persistait. Qui plus est, s’ils se rendaient à l’endroit indiqué par Athis, la probabilité que leurs adversaires y soient présents restait grande ; hors le précédent combat leur avait bien prouvé leur infériorité face à eux. L’appui d’un éventuel artéfact supplémentaire ne pouvait être négligé : ils iraient donc, mais pas avant d’avoir pris un repos bien mérité, de s’être rassasié, et d’avoir examiné le terrain en détail.

-On part dans une heure, préparez tout ce dont vous avez besoin.

Leur destination ne se trouvait à présent qu’à quelques kilomètres. Sans attendre son reste, le jeune homme se leva puis se dirigea dans la forêt, en quête d’une créature quelconque à abattre. Ce fut au détour d’un buisson qu’il croisa par le plus grand des hasards un sanglier, blessé vu l’agressivité dont il faisait preuve. Très vite, le trancheur fit jaillir le sang de l’animal, sans lui laisser le temps de réagir, et revint victorieux vers ses camarades, lesquels ne seraient sans doute pas déçu de pouvoir se nourrir de bonne chair. Il se surprit à sourire, d’un rictus qu’il pensait fier, mais qui relevait en réalité d’un simple plaisir à partager le bivouac avec ses camarades. Mine de rien, au fil du temps, une certaine amitié se créait entre eux tous, Irvine demeurant sans doute la seule exception. Plus le temps passait, moins Iyoh pouvait supporter cet avorton. Il projetait même de lui préparer un petit "accident" s'il continuait d'être aussi peu énergique. Bien vite dépecé, le mammifère se retrouva embroché au dessus d'un feu intense, cuisant très rapidement. Le trancheur ne put cacher son impatiente. Il adorait le porc.

Après une marche forcée et pesantes de plusieurs heures, Athis stoppa le groupe d'un geste. Ils se trouvaient désormais devant un mur naturelle d'une centaine de mètres de hauteur, parsemé de nombreuses grottes. Le tout était assez impressionnant, si l'on mentionnait le vent fort qui soufflait et qui provoquait des sifflements assourdissant pour les voyageurs. Une barbe de quelques jours commençait à manger le visage d'Edwig. Depuis les quelques heures où il détenait l'artéfact, on remarquait un changement radical dans son attitude, pour qui le connaissait. Sa stature, son regard, et même ses manières étaient différentes. Toujours aussi exigeant envers ceux qu'il devait considérer comme des esclaves, Athis imposa aux Ombres d'escalader l'immense façade pour rejoindre une grotte, parmi les plus petites. Bien que difficile, cette activité ne posa pas tant de problèmes que cela aux cinq hommes, forts et expérimentés. Arrivés à destinations ils s'enfoncèrent dans la grotte. Ne disposant que d'une torche pour eux tous, ils se réunirent derrière Iyoh, qui avançait prudemment. La tension était visible sur le visage de tous. Bientôt, ils auraient un second artéfact. Ils seraient invincibles!

Enfin, ils y étaient. Après des semaines de recherche, des jours de voyage, puis des dizaines de mètre d'escalade, ils faisaient face à leur destin. Cette grotte constituait une parfait cachette pour un artéfact, car personne n'aurait eu la patiente de fouiller les dizaines de fouiller les dizaines de cavités naturelles présentées par la paroi rocheuse. Les Ombres pouvaient s'attendre à tout désormais: créatures diaboliques, mécanismes de sécurité complexe, ou tout simplement porteur d'artéfact. Peut-être que finalement, dans un esprit revanchard, Orion Délafi les avait suivi jusqu'ici. Non, Iyoh faisait confiance en ses capacités. S'ils avaient été pris en filature, il l'aurait su tout de suite. À pas lents, dans un silence amplifiant l'ambiance déjà tendue, les cinq hommes avancèrent, jusqu'à entrevoir, au loin, une grande source de lumière, vers laquelle ils se dirigèrent.

Le spectacle fut alors stupéfiant. Il y avait là salle de plusieurs dizaines de mètres de côtés, peut-être même des centaines, taillée à même la roche. Des torches étaient disposés dans tous les coins, mettant en relief des rangées d'étagères débordantes de livres en tout genre. Vers le centre, une table massive en pierre était entourée de quelques sièges de bois aux ornements dorés. Sur l'un de ceux-ci reposait un squelette de grande taille, à moitié recouvert d'un linceul moisissant ça et là. Pour accéder à cette titanesque bibliothèque, Iyoh et ses complices durent descendre un escalier de bois menaçant de s'écrouler à tout instant du fait de la fragilité de ses marches. Lorsqu'enfin ils furent arrivés en bas, le trancheur demanda à ses compagnons de se disperser pour fouiller toute la pièce, et ils durent bientôt se rendre à l'évidence: s'il y avait un artéfact ici, celui-ci était bien dissimulé. Décidant qu'il ne voulait pas perdre son temps, le jeune homme s dirigea vers Edwig et Athis.

-Et maintenant? Où est la récompense?

L'interrogation de Iyoh faisait écho dans la tête d'Edwig. Qu'étaient ils donc venu chercher ici. Ces livres étaient peut être d'une valeur inestimable pour un scientifique, mais pour eux, ils n'étaient d'aucune utilité. De ses observations, le Hurleur avait cru comprendre qu'il s'agissait du repère d'anciens sages ayant préféré l'isolement. Rien n'indiquait la présence d'un artéfact, si ce n'est les indications d'Athis. Le géant se tourna vers lui lorsqu'il prit la parole.

- Quelle récompense? Je ne crois pas que qui que ce soit ici mérite une récompense. Vous avez tous eu la chance de me trouver, maintenant, laissez moi gérer le reste. Si vous vous demandez pourquoi nous sommes ici, c'est simplement pour mon porteur. Je ne supporterai pas d'être dirigé par un illettré ! Edwig Luthness, je vais m'occuper de t'apprendre ce que tout érudit doit savoir. Tu comprendras bien vite que la force n'est rien sans l'intelligence, dans tous les domaines, et surtout en ce qui s'agit de la maîtrise de mon pouvoir!

Edwig resta comme à son habitude silencieux, acquiesçant simplement d'un signe de tête. Iyoh n'était visiblement pas heureux de la réponse de l'artéfact et s'apprêtait à répliquer. Athis reconnaissait la compètence de cet homme. Convaincu qu'il serait utile par la suite, il se décida à en faire un allié, plutôt qu'un ennemi. Il attendit patiemment la réplique de l'homme.

Tout ce chemin, cette quête dangereuse, ces dizaines d'heures de recherche, uniquement dans le but de répondre aux exigences d'un artéfact frustré d'avoir été enfermé durant une période selon lui trop longue? Instruire Edwig? Une aberration, ni plus ni moins. Le hurleur était une machine de guerre, apte à survivre face à n'importe quel adversaire et d'élaborer les plans les plus audacieux pour vaincre ses ennemis. Il était né pour tuer, ne savait rien faire d'autre, et aucun autre rôle ne lui aurait correspondu mieux que celui-ci. La fourberie d'Athis n'avait pour seul effet que d'agacer au plus haut point le trancheur, hors celui-ci avait une patiente pour le moins limitée.

-Vous croyez vraiment qu'on a du temps à perdre avec ces conneries? On cherche des artéfacts, ARTÉFACTS! Je me contrefiche de tous ces livres ou de vos désirs, stupide créature! Vous n'existez que parce que nous voulons bien vous porter, alors vous vous contenterez d'obéir, sans quoi on se fera un plaisir de retourner vous enfermer dans votre sous-sol puant la vermine!

Hors de question, bien évidement, de se séparer de leur tout nouveau dû, mais il espérait au moins le convaincre de ne pas leur faire perdre de temps, car une nouvelle menace naissait. Avec Orion Délafi ainsi que ses compagnons, les Ombres avaient perdu une partie de leur anonymat, seraient sans doute bientôt traquées. Il était également possible que cet hovoïte aille s'emparer de tous les artéfacts avant eux, ce qui réduirait dès lors leurs chances à néant. S'il voulait vaincre Snori, Iyoh devrait sans doute passer par Melody. Hors, pour tuer la capitaine, il lui faudrait impérativement un artéfact. En perdant du temps, ses espoirs d'en trouver un à son tour se réduisaient de façon conséquente. Darwin et les autres s'attroupaient autour du petit groupe, ne sachant pour leur part quoi penser.

Athis regarda le petit homme fulminant avec mépris.

- Vous devez sans doute en savoir bien plus que moi sur le fonctionnement des artéfacts, je m'excuse. Après tout, il est vrai que vos ennemis n'ont rien de bien exceptionnel, il vous sera facile de les maîtriser! Oui, si un seul d'entre eux a pu tous vous maîtriser en une attaque, vous n'avez pas besoin de mon aide!

La créature à tête de lionne observa pendant quelques instants la pièce dans laquelle ils se trouvaient. C'était un modeste dortoir d'une vingtaine de lits. La dernière fois qu'Athis s'y était rendu, il grouillait de vie. Une petite communauté de sages s'y étaient installé, développant leurs arts et travaillant sans relâche dans de nombreux buts, dont celui de comprendre les artéfacts. C'était il y a quelques centaines d'années. Ils s'étaient éteints peu à peu, à cause de la consanguinité trop répandue...

- Ce lieu ferait une excellente base pour vos hommes. Situé sur Hovo, avec des centaines de salles et de nombreuses ressources non-exploitées... Toutes les civilisations qui ont marqué l'histoire ont développées au mieux leur savoir pour triompher. Le ferez vous, Iyoh Tzumihi?