1ère mission auprès de Taetra : Kaiga.

- Nous sommes Taetra. Nous sommes ceux qui souffrons pour les souffrants. Nous représentons la liberté, la vraie. Bien sur la liberté a des limites, sache que l'on ne tue qu'en cas d'extrême urgence, et de danger de notre groupe entier. Nous ne t'aurions pas tué, probablement t'aurions-nous assommé, attaché et positionné de manière à ce que tu paraisse ivre mort, dans le pire des cas ! Bref, maintenant que tu connais nos visages tu à deux choix : tu peux décider de finalement aller nous dénoncer à la police, soit disant, et prendre le risque que ces hommes corrompus contre leur gré meurent, ou bien tu peux commencer à apprendre qui est vraiment celui qui dirige notre monde aujourd'hui. Ce qui implique que tu viennes avec nous et que tu gardes le silence. Fais ton choix.

Toujours avec son pull à l'envers, le regard de Jude vacillait entre Elise et le jeune homme qui venait d'entrer dans la pièce. Même si l'ambiance devenait de plus en plus pesante, l'adolescente se tenait à l'écart, détaillant la silhouette et le visage de l'inconnu. Elle était sûre de l'avoir déjà vu quelque part ... Mais où ? Pas à Pabarce, elle ne sortait que très rarement de chez elle, excepté pour aller voir son amie à l'hôpital. Sa famille et elle ne voyageaient que très rarement, dû au passé tumultueux et l'état de santé de son père... Mais alors ... Où ?

Au fur et à mesure des secondes qui s'écoulaient, l'inquiétude grandissait en elle ... Il pouvait très bien s'échapper d'ici, prévenir les autorités, et tous leurs espoirs se réduiront au néant. Au mieux, ses amis finiraient en prison pour un bout de temps. Au pire, ils seraient torturés et tués. Ce garçon en savait déjà trop, et rien n'indiquait, à ses gestes et à ses paroles, que Taetra pouvait lui faire confiance.

Elle n'avait pas eu le réflexe de pointer son revolver lui, pour une raison qu'elle ignorait elle-même. Si la situation avait tourné plus mal, tout aurait été bien compliqué. Heureusement, il avait lâché son arme au sol, et Jude s'approcha immédiatement, l'éloignant du pied avec vivacité jusqu'au bout de la pièce. Elle grimaça : en donnant un tel coup de pied, elle n'avait pas imaginé qu'une arme assez petite pouvait être aussi lourde. De près, elle reconnut le jeune homme instantanément.

- Mais vous étiez au salon hier ! Vous avez bousculé Élise, et vous l'avez dévisagé ! C'est pour ça que vous êtes ici ?

[HRP: Marc n'as pas lâché d'arme, il n'en avait aucune ._.]

L'étudiant écoute le discours de l'homme à la cigarette, ébahi. À l'annonce du nom de Taetra, nombre d'informations lui revinrent en mémoire. Il avait déjà entendu parler de cette organisation, tant par le biais des médias que des on-dits. Ils étaient les auteurs de moult attentats ayant pour cible le gouvernement, ce presque depuis l'instauration du nouveau régime. Marc ne s'était définitivement pas trompé à leur compte. Ce vieillard lui laissait le choix entre la loi ou la criminalité? La question ne se posait même pas! Quoique...malgré ce qu'il pouvait en dire, le doute subsistait. Son interlocuteur semblait vraiment croire en ses mots, possédait de réelles convictions. Cette autre vision de la liberté méritait qu'on y prête attention, d'autant qu'il pourrait très bien les trahir ultérieurement. Non. C'était ridicule. Il avait une famille, entrerait sous peu à l'université, se devait de voir ses amis afin de conserver un entourage talentueux; en somme un emploi du temps ne permettant pas d'aller jouer au héros. Il savait toutefois que suite à cette matinée, il serait de toute manière forcé de réviser son jugement à propos de l'état, de quelque manière que ce soit. Ouvrant la bouche pour rétorquer quelque chose à Gérard, le jeune homme fut interrompu par l'amie d'Élise. Son intervention le fit instantanément rougir. Il ne la trouvait pas spécialement belle et avait autant d'amis parmi les deux sexes, pourtant elle le mettait incroyablement mal à l'aise. Lorsqu'il lui lui répondit, ce fut sur un ton beaucoup moins agressif.

-Euh...oui, c'est exact. Et non, je ne suis pas là pour Élise. Enfin, si j'avais su qu'elle était là je serais venu ici pour elle. Quoique non, j'aurais appelé la police pour qu'ils s'occupent d'elle. Dans un sens, c'est mieux pour vous que je ne t'ai pas trouvé.

-Attends, tu étais à ma recherche?

-Oui, et je ne suis probablement pas le seul. Vu que tu as fuguée, un avis de recherche a été diffusé un peu partout.

Cette révélation eut l'effet d'un électrochoc. Pas un seul instant, elle n'eut pensé qu'on pourrait tenter de la ramener de force à Pabarce. Après une fuite d'un hôpital réputé et la dispute téléphonique avec sa mère, il était pourtant évident qu'elle ne s'en tirerait pas à si bon compte. Il faudrait donc constamment se dissimuler si elle voulait rester tranquille. Le chapeau ne serait jamais de trop à Néris. L'annonce chamboula tant l'adolescente qu'elle en oublia sa stupeur face aux arrivée successives. Peut-être aurait elle mieux fait de discuter tranquillement avec ses parents; car bien qu'elle ne les appréciait pas outre mesure, elle ne pouvait nier ressentir une affection naturelle envers eux. Hors de question de ne pas les revoir avant la fin...mais uniquement au dernier moment! Elle voulait rester le plus longtemps auprès de Taetra, afin d'avoir sa vengeance! Pour cela, elle avait besoin du silence de ce garçon.

-Qu'est-ce qu'il se passe si je choisis la liberté? demanda d'ailleurs ce dernier à l'adresse de Gérard.

La situation semblait vouloir durer longtemps, et personnellement, Iris n'avait que faire de l'adolescent. Gerard était sans doute capable de lui faire subir un lavage de cerveau. Sans lui accorder plus d’intérêt, la jeune femme se rassis, et pris une sorte de pancake, qui lui semblait plus appétissant que tout ce qu'elle avait jamais pu voir dans sa vie. Croquant dedans avec enthousiasme, elle réfléchit à ce que serait leur future mission. Aujourd'hui, Iris avait la conviction qu'il s'agirait surtout de donner l'impression aux nouvelles recrues d'être utiles, comme en ce moment où Elise pointait son arme en direction du jeune Marc. Tout de même, elle aurait préféré un peu moins de tension. Lorsqu'elle vit la conversation s'apaiser, et le bras d'Elise se relâcher, elle ne put s'empêcher de soupirer intérieurement. Il y avait eu assez de morts dans sa vie pour ne pas en rajouter une autre aujourd'hui...

- Si tu nous rejoins, nous t'entraînerons, nous t'expliquerons la vérité et t'apprendrons comme nous apprenions avant la dictature. Tu connaîtra alors la vraie histoire de notre monde, une politique nouvelle et de nouveaux choix possible pour notre avenir. Et puis, tu aurait une chance de revoir ton amie sourcière.

Ainsi, il était également question des sourciers. L'homme lui faisant face, de quelque manière que ce soit, en savait beaucoup sur lui. Probablement parvenait-il à lire dans ses pensées. Marc dévisagea les deux jeunes filles déjà croisées plus tôt. Possédaient-elles également d'étranges pouvoirs? Quoi qu'il puisse en être, les propos du vieillard s'avéraient pour le moins alléchants. Rien ne l’empêchait de feindre une alliance pour en apprendre plus avant de prendre une véritable décision. Ce fut lorsqu'il s’apprêtait à acquiescer que l'incident fut évoqué. Quelques mois plus tôt, une personne de sa connaissance à qui il ne portait aucune véritable affection s'était volatilisée. Cela avait causé un grand émeu au sein de sa classe de terminale, d'autant que beaucoup savaient qu'elle était sourcière. Si personne n'avait demandé de comptes, tous trouvèrent cette disparition louche.

-Si vous parlez d'Alisabeth, la revoir m'importe peu. J'accepte votre proposition, je n'ai pas le choix de toute manière, mais j'ai mes conditions. Si je vous rejoins, je veux que vous répondiez à la moindre de mes questions. Je ne veux pas qu'on me cache quoi que ce soit, je veux également être libre de vivre chez moi et de suivre mes cours comme prévu. Nous sommes d'accord?

Outre le problème lié à son agenda chargé, il faudrait surtout qu'il continue de se comporter comme d'accoutumée s'il ne voulait pas que ses camarades se doutent de quelque chose. De trop longues absences à l'université pourraient mener à sa perte et éventuellement à celle de Taetra si les choses se corsaient; mieux valait être prévoyant.

- Je te dirais ce que tu veux savoir. Mais tu ne retournera pas chez toi, cela pourrait compromettre la sécurité des tiens. Si tu nous rejoins, tu restes avec nous. Je m'occuperais personnellement d'informer et de rassurer tes parents. Et comme je te l'ai dit, tu suivras les cours que nous t'enseignerons. Nous n'aurions même pas dû commencer cette discussion, alors estimes-toi heureux, Marc.

Ainsi soit-il. Ils escomptaient lui apprendre ce qu'était la vrai liberté en l'emprisonnant. Cet homme se pensait plus apte à inculquer des valeurs justes que les professeurs les plus en vogue d'une des plus prestigieuses universités de droit au monde. Arrogants, contradictoires, portants des armes. Les membres de Taetra ne s'avéraient pas digne de confiance. L'étudiant ferma les yeux, signe d'agacement chez lui. Élise, comme sans doute toutes les autres personnes présentes dans la pièce, sentit que les choses ne tournaient pas à leur avantage. Peut-être aurait-il été judicieux de pointer à nouveau l'arme sur Marc avant qu'il ne tente de prendre la fuite. Lorsque ce dernier rouvrit les yeux, on pouvait dors et déjà y lire sa réponse.

-Désolé, mais je ne marchande pas mes conditions. Au revoir.

Trop rapide cette fois-ci pour que quiconque puisse l'intercepter, il sortit du restaurant et parti au pas de course jusqu'à son vélo. Après s'être assuré qu'on ne le suivait pas, il pédala le plus vite possible jusqu'à chez lui, affichant sur la route une nouvelle détermination. Il devait contacter la police au plus vite, faire en sorte que ces types se fassent arrêter! Au QG de Taetra, le silence était retombé suite à cette altercation. Inquiète, la condamnée observait à présent Gérard. Refuser avec tant de virulence les propos de Marc ne fut pas la meilleure idée qu'il ai eu.

-Qu'est-ce qu'on fait maintenant? On ne peut pas le laisser nous dénoncer, si?

Elyar avait observé toute la scène en gardant le silence. La tournure des événements lui déplaisait, et après que le jeune homme soit parti, il se leva.

-Soit on l'intercepte, mais il a déjà pris de l'avance et ce ne sera pas facile, soit on part en vitesse, mais ça ferait une bonne planque en moins et il faudrait dégager toutes les preuves. Si quelqu'un a une autre option...

Raven, de son côté, se dirigea vers Gérard. Ne connaissant pas le restaurant, il préférait demander son chemin.

-Excusez-moi, il n'y aurait pas une salle de bain, ou un endroit similaire, avec des pansements ou quelque chose du genre?

Bien que les seules blessures non couvertes par ses vêtements soient des bleus ou des légères coupures, il avait en dessous de son blouson et son jean des blessures bien plus graves. En plus de cela, il n'aurait pas dû se relever si tôt et parmi ces blessures, certaines s'étaient rouvertes, voire remises à saigner. De manière générale, son état après l'accident était loin d'être bon.

- Les enfants, votre première mission viens de changer. Rattrapez-le, si vous le pouvez, Kaiga, je dirais à June de vous retrouver, on lève le camp, cet endroit doit ressembler à un immeuble désaffecté dans 10 minutes alors au travail !


- Toi tu restes avec nous, pour son bien, met Kiwi là-dedans, et monte dans le van noir au 2 parking sous-terrain.

Les doutes d'Élise se confirmèrent: Marc n'avait en réalité pas eu le choix à quelque moment que ce soit. Dans un sens, leur rencontre lors du salon avait scellé le destin de l'étudiant. Bien que les évènements se soient succédés d'une façon plus ou moins imprévisible, elle se sentait donc responsable de ce qui était en train de lui arriver. Le retrouver devenait en tout cas en priorité absolue. Saisissant le sac tendu par Jules, l'adolescente courut jusqu'à sa chambre dont elle ouvrit la porte en trombe. Kiwi se trouvait là, assis par terre, à la fixer la fenêtre sans la moindre expression. Lorsque sa maîtresse arriva, il se leva pour se diriger vers elle. Celle-ci se mit à sa hauteur puis ouvrit le sac en grand.

-Je sais que ça ne va pas te plaire, mais il faut que tu grimpes là dedans. Tu comprends?

À sa grande surprise, même s'il ne répondit pas de quelque manière que ce soit, le promeneur nocturne se plaça docilement dans le sac, dans une position incroyablement inconfortable. Au moins, il pourrait y tenir en entier. Après l'avoir flatté d'une dernière caresse en signe de remerciement, Élise prit simplement son chapeau dans lequel elle enfonça son crâne puis repartit en direction de ses camarades. Le restaurant ne ressemblait désormais plus à rien. Les éventuels habitués trouveraient sans doute ce départ improvisé suspect, mais personne ne pourrait réellement se douter de quoi que ce soit. Taetra avait sans doute déjà programmé un telle fuite, aussi les mécanismes furent-ils rapidement mis en place. Voir ses amis partir sans elle fit monter l'amertume, toutefois la jeune fille ne pensa pas à se plaindre et obéit à la lettre aux ordres du maître. En un instant, elle trouva les escaliers menant aux sous-sol puis alla se placer près du fameux van noir. Où allaient-ils fuir à présent? Kaiga et les autres ne feraient-ils pas face à une certaine résistance si Marc avait eu le temps de contacter les autorités? Encore une fois, les évènements prenaient une tournure inattendue.

Elyar changea son revolver de poche pour que celui-ci ne tombe pas et s'élança à la suite de Cirdan et Kaiga. Plutôt bon coureur, il remonta peu à peu jusqu'à arriver au niveau des deux autres poursuivants de Marc. Il avait repris son air impassible. Il devait rattraper le jeune homme!

De son côté, Raven assista à la mise en place du plan d’évacuation sans avoir reçu de réponse. Conscient que ça devrait attendre, il descendît l'escalier en trombe et arriva au van peu après Élise. Ouvrant la porte latérale du véhicule, il grimpa dedans et se tourna vers la jeune fille.

-Mieux vaut se tenir prêt à partir en trombe. Tu devrais déjà monter.

La situation se précipita soudainement. La calme conversation opposant Gérard au jeune homme, un dénommé Marc, laissa subitement place à une panique. Blandine se ravisa néanmoins: aucun des membres de Taetra ne semblait paniquer. Ils s'étaient simplement mis en mouvement, telle une machine bien huilée.
Obéissant à Gérard, Elise s'était enfuie dans les couloirs, à la recherche de Kiwi. Le restaurant se métamorphosait sous les yeux de Blandine, qui vit Kaiga et Cirdan bondir dans la rue, à la poursuite de l'inconnu. Sachant pertinemment que son aide serait inutile, la jeune fille sortit elle aussi du restaurant, détestant rester en retrait. Surtout quand on lui donnait un ordre.
Déjà au bout de la ruelle, trois silhouettes s'éloignaient encore. Plus loin, il y aurait probablement une intersection. Le temps qu'elle les rattrape, ils se seraient déjà évaporés...
A contre-coeur, Blandine fut forcée d'accepter son impuissance. Elle s'apprêtait à retourner dans le restaurant, quand elle avisa Jude. Le jeune homme avait paru plus pondéré quand elle s'était adressée à lui. Si l'adolescente lui faisait voir les choses sous le bon angle, peut-être accepterait-il de l'écouter ?
Avec un peu de chance, il n'était pas encore trop tard.

- Jude!" la héla-t-elle. "Il faut essayer de le convaincre sans le brusquer, sinon ça ne fera qu'empirer les choses!"

Les battements de coeur de Jude s’accéléraient durant tout l'échange entre le dénommé Marc et Gérard. Elle avait la sordide impression qu'un piège se refermait sur eux : le garçon serait donc l'homme qui aurait décelé l'organisation anti--gouvernementale la plus recherchée et sans doute une des plus dangereuses du pays. Une telle dénonciation serait sans nul doute récompensée d'une quelconque manière que ce soit. Après tout, quel serait son but à garder un secret de cette ampleur pour lui seul ? Et s'il ne disait rien aujourd'hui, il pourrait très bien le faire le lendemain. Ou la semaine suivante. Il avait vu leurs visages, leurs armes, le lieu ... Un nombre de détails impressionnant. Le futur de Taetra ne tenait plus qu'à un fil, à un maigre fil, et ils devaient fuir. Tous.

Après ce court instant de réflexion, Jude se précipita dans la rue, espérant rattraper le jeune homme en courant. Au bout de quelques mètres, ses camarades devant elle et le fugitif semblaient bien loin : il n'y avait plus rien à espérer. Elle fit demi-tour, et retourna dans la cuisine, théâtre de ce qu'elle pensait être une catastrophe cosmique. La tête contre le mur, elle l'observa, vérifiant une nouvelle fois si aucune de leurs affaires, et donc un indice important, n'avait été oubliée. Son regard se fixa sur un petit objet brillant au coin de la pièce. Curieuse, elle s'en approcha, comprenant bien vite à quoi elle avait affaire : le téléphone de Marc, qu'elle avait poussé à l'autre bout de la pièce, avec le pied, pour l'empêcher d'appeler la police. Elle s'en saisit rapidement, et croisa Blandine au même instant. Elle appréciait beaucoup la jeune fille, mais n'arrivait pas bien à comprendre pourquoi elle disait ça à elle, alors qu'il devait y avoir d'autres membres du groupe bien plus éloquents et convaincants qu'elle.

- Oui. ce serait possible. Mais ... J'ai essayé de le rattraper, il est trop loin ... Je ne peux pas le convaincre comme ça. Je veux dire ... à distance. Tu viens au van ?

Sans attendre la réponse de son amie, elle retrouva le chemin conduisant au véhicule et, brandissant le portable du jeune étudiant, elle s'adressa à ses camardes présents :

- J'ai retrouvé le téléphone de l'autre là ... Comment il s'appelle déjà ?

Élise n'eut pas à attendre seule bien longtemps - encore qu'elle ne fut pas seule, ayant laissé Kiwi sortir sa tête du sac tant qu'ils se trouvaient au sous-sol. Bien vite, l'inconnu ayant fait irruption en début de matinée fusa droit vers le van, en ouvrit la porte latérale et s'installa en lui conseillant vivement de faire de même. Les membres originels de Taetra n'étaient pourtant pas encore présent et partir sans eux aurait été stupide, aussi ne comprit-elle pas réellement son empressement, ce qui ne l’empêcha pas d'obtempérer. Gérard avait longtemps discuté avec de garçon, aussi pouvait-on probablement lui faire confiance à présent. Un nouveau membre de l'organisation, à n'en pas douter. Quitte à faire un bout de chemin ensemble, autant se présenter. L'adolescent s'apprêtait à ouvrir un dialogue lorsque Jude fit à son tour irruption.

-C'est Marc. Monte, on va sans doute bientôt partir!

Tout compte fait, garder le téléphone portable de l'étudiant avec eux n'avait rien d'une bonne idée. Avec les nouveaux logiciels anti-vol, un opérateur pouvait très facilement suivre au mètre près le parcours de n'importe quel appareil. Si la police la plus compétente du monde se lançait à leur poursuite, ils n'auraient donc aucun mal à les retrouver, d'autant qu'à première vue Marc semblait être un garçon brillant. Il ne ferait pas l'erreur d'omettre le moindre détail. À coup sûr, mieux valait se débarrasser de son bien.

-On ferait mieux de laisser ça là ma vieille. Je pense que des pros arriveraient à nous suivre à cause de ce téléphone. Enfin, je te dis ça, je n'y connais absolument rien! Tiens, au fait toi, qui es tu? Ton apparition de toute à l'heure n'est pas passée inaperçue...

Sa dernière phrase avait bien entendu pour destinataire Raven, installé près d'elle. En le dévisageant rapidement, elle se rendit compte qu'il était couvert de blessures plus ou moins importantes. Encore un cas d'or. Attendant une réponse, Élise tourna la tête pour observer le parking. Aucune trace de Jules ou de Gérard, ni même de cette femme nommée Samantha. Que diable faisaient-ils? L'adolescente n'était pas spécialement calée sur le domaine géo-politique, mais savait pourtant que des centres militaires et policiers de grande importance prenaient place à Néris. En à peine une demi-heure, leurs ennemis pourraient les retrouver. Il ne lui arriverait sans doute pas grand chose à titre personnel -un retour à l'hôpital tout au plus- mais il y avait tout de même de quoi s'en faire vis à vis de Taetra dans son ensemble! Qui plus est, sa fierté en aurait pris un coup si elle s'inclinait après seulement un jour de lutte.

Raven observait les alentours du parking quand la jeune fille avec une écharpe arriva. Il écouta les deux adolescentes discuter.

-Peut-être qu'en enlevant la carte sim, ça pourrait empêcher le tracage... Ou pas. Mieux vaudrait le confier à... Gérard, c'est ça? Enfin bref. Et sinon, qui je suis? Et bien, c'est très compliqué.

C'est à ce moment qu'il entendît un croassement. Quelques secondes plus tard, le corbeau, qui était parti au moment où le jeune amnésique s'approchait de la porte du restaurant, se posa sur son épaule. Il contempla l'oiseau un bref instant, avant de se retourner vers la jeune fille.

-T'as qu'à m'appeler Raven. Et lui, c'est euh... Un corbeau.

Le corbeau pencha légèrement la tête en fixant les jeunes filles qui discutaient avec son ami, puis plana jusqu'au crâne de Jude. Malgré que les corbeaux aient une mauvaise réputation, celui là ne semblait pas particulièrement dangereux.

Elise n'avait pas tort : la localisation du téléphone pourrait les mettre dans une panade encore plus grande que celle dans laquelle ils étaient actuellement. Jude tournait l'appareil entre ses mains, le regardant sous toutes ses coutures. D'après le design et la qualité irréprochable de l'appareil, Marc, et certainement ses parents, n'avaient pas le moindre problème d'argent ... ou du moins, ne le montraient pas. Après une réflexion assez longue, elle devina où était dissimulée la batterie du portable, aussi fin soit-il, et l'ouvrit en deux. Juste à côté se trouvait la dite carte SIM. Elle regarda tour à tour ses camarades.

- Comment peut-on se débarrasser de ça ? Je suis supposée ... l'avaler ?

Elle regarda avec dégoût le corbeau sur l'épaule de Raven. Dans tous les contes ou les histoires fantastiques, ces bestiaux n'avaient jamais eu bonne presse ...

L'avaler? Jude était-elle à ce point en décalage par rapport à son monde? Une fois de plus, Élise ne put retenir un rictus amusé. Il faudrait vraiment qu'un jour son amie apprenne à faire moins de sottises...pourvu que ce dit jour arrive le plus tard possible! Entre elle et ce garçon au nom improbable se liant d'amitié avec un volatile non pas des plus aimables, la condamnée se retrouvait en bien étrange compagnie. Décidée à prendre les choses en main, elle arracha gentiment le portable des mains de Jude puis le lança de toute ses forces à travers le parking. L'appareil fut bientôt suivi de sa carte SIM.

-Voilà! C'est plus simple que de l'avaler je pense. Au fait, d'où te viennent toutes ces blessures Raven?

Il fallait bien avouer que l'état du jeune homme avait de quoi en inquiéter plus d'un. Plus loin dans les rues de Néris, Marc continuait sa course effrénée, se doutant bien que les membres de cette organisation terroriste ne le laisseraient pas s'enfuir avec une telle aisance. À moins de disposer d'un véhicule très rapide, ils ne parviendraient cependant jamais à le rattraper avant qu'il n'arrive à son domicile. À peine un quart d'heure plus tard, ce fut chose faite. L'étudiant repoussa sans ménagement sa bicyclette dans les tréfonds du garage puis fonça droit dans sa chambre, en nage, sans juger bon de prévenir sa mère de son retour. Son petit frère l'entendit et l’aperçu mais ne s'en soucia guère. Après avoir claqué la porte, il fouilla machinalement dans sa poche. Son téléphone ne s'y trouvait évidemment plus. Se souvenant qu'on le lui avait arraché, il descendit les escaliers tel une furie puis composa le numéro de la police sur le fixe.

-Marc, qu'est-ce qu'il se passe?

-Pas maintenant maman! Oui, allô? Ici Marc Leprêtre, je viens d'être témoin d'un trafic d'arme et selon ce que j'ai pu entendre, il s'agirait d'une organisation terroriste du nom de Taetra! Je répète, je...

Au bout du combiné, un officier le priait de se calmer, ce qu'il se força à faire. Le reste fut rapide: adresse, heure exacte, et une brigade de police filait déjà droit vers le restaurant. Marc, épuisé, s'écroula sur le fauteuil. Il ne payait mine mais rayonnait d'une joue invisible: aujourd'hui, il avait agi comme tout bon citoyen devrait le faire, comme personne dans ce monde ne le faisait!

-La journée commence plutôt bien, maman.

Vexé du regard que Jude lui jetait, le corbeau retourna sur l'épaule de Raven, qui s'apprêtait à répondre à Elise.

-Je me suis réveillé ce matin dans cet état. Et je ne sais pas d'où ça vient. C'est... Bizarre. Vous êtes Élise et Jude, c'est bien ça?

Il jeta un coup d'oeil vers le téléphone et la carte sim, étendu sur le bitume un peu plus loin.

-Attendez...

Il se leva et descendît du van, courant vers le téléphone. Replacant la carte sim dans le téléphone qui semblait peu abimé, il retourna au van en courant.

-On peut peut-être appeler son domicile, et essayer de le dissuader, non?

Tous les véhicules démarrèrent, et empruntèrent des chemins sous-terrains. Derrière eux, un tremblement de terre commença. Gérard paraissait pensif, et Jules énervé. Sam était à l'arrière du van avec les enfants. Ils fuyaient. Serait-ce leur quotidien au sein de l'organisation ? difficile de l'imaginer, et pourtant si probable ... Ils rouleraient deux heures. Deux heures pour atteindre le lieu le plus improbable qui soit, presque irréel.

- Les enfants, bienvenue à Taetra.

C'est après la sortie du tunnel que se levèrent devant leurs yeux une sorte de ville sous-terraine, une cité sous la cité, construite dans les pierres de l'histoire de la cité, et qui ressemblait donc à un château médiéval enseveli. Une sorte de ville ver-de-terre, faites pour des hommes, par des hommes. Taetra comptait une centaine de membres seulement, mais ici se réunissait toutes les autres organisations qui voulaient parvenir au même but, mais avec différents moyens. La clé de la défaite de Maximillian Maffert se trouvait donc juste sous ses pieds. Jamais le tyran ne penserait à chercher les "criminels" si proche de lui, c'était simplement insensé, et pourtant, cela semblait un défit réussit.