Super-Soldat Saori

Topic se déroulant au même moment que "première mission"

Malgré une veillée tardive, Erik se leva relativement tôt, rigueur militaire obligeait. Il ne souffrait de toute manière d'aucune forme de fatigue. Comme bon nombre de matins, il passa rapidement un peu d'eau sur son visage puis effectua de nombreuses séries d'abdominaux, pompes, et autres exercices similaires. Une fois en sueur, il se dirigea vers la salle de bain de sa suite puis prit une douche rapide, à peine tiède. Il préférait sentir sur son épiderme une certaine fraîcheur plutôt que la chaleur insupportable d'une eau brûlante. Aujourd'hui, comme durant presque toute la durée du SSAM, le major avait quartier libre. Cela ne lui permettait toutefois pas de porter autre chose que l'uniforme réglementaire. Plutôt esthétique, s'en revêtir ne dérangea pas le trentenaire, cette inutile rapière mise à part. Il s'agissait là d'un objet purement ornemental. Erik hésita à l'attacher à sa ceinture, puis la jeta finalement sur son lit. Sept heures vingt. Le temps ne lui faisait pas défaut, aussi s'installa-t-il sur son balcon, une cigarette à la bouche. Encore quelques minutes de tranquillité. Ce petit rituel était, au fil des années, devenu journalier: un peu d'exercice, une bonne douche, un moment de détente, le tout sans penser au travail. La véritable journée pourrait commencer ensuite. Des volutes de fumées s'envolèrent depuis le mégot. Plus qu'une bouffée. Un dernier souffle tranquille. Le major Saori ferma la porte coulissante du balcon, reprit sa rapière, sortit de sa suite. En arrivant dans le grand salon situé au rez de chaussée de l'hôtel luxueux dans lequel Mesath les avait installé, Erik rencontra nombre d'officiers. Parmi eux se trouvait celle qu'il cherchait.

-Excusez moi, Général Hiks?

La femme soldat se retourna sans se courber, droite comme un i, la mine sévère. Pas très accommodante. Pourtant tous ses subalternes s'accordaient à dire qu'il s'agissait d'une militaire hors du commun dont le titre n'était pas usurpé. Après plusieurs années de travail sous ses ordres, Erik se ralliait sans hésitation à cet opinion.

-Oui, Major?

-Comme vous le savez, ma permission débute demain. Je suis venu vous annoncer que je compte la passer à Neris, et que je ne rentrerais de ce fait pas avec le reste de la délégation.

Un sourire apparut sur le visage fermé de Hiks.

-Une ville charmante, n'est-ce pas? Soit, accordé Major.

Erik effectua un rapide salut militaire, puis se dirigea vers la porte d'entrée. Il avait simplement quelques directives à aller donner à des hommes postés au SSAM, puis il pourrait retourner étudier ces extraits vidéos fournis par Eliott.

-Saori!

L'intéressé se retourna, interloqué. Sa supérieur n'avait pas coutume de l'interpeller de la sorte, encore moins de les aborder d'un air si solennel. Elle avait cet air des grands jours, ceux où elle devait énoncer des discours poignants pour rassurer la population en temps de crise. Erik se souvenait d'avoir vu une expression parfaitement semblable lorsqu'elle avait souhaité à sa manière la bienvenue aux nouveaux officiers, il y avait de cela quelques mois. Malgré son apparente froideur, cette femme aimait son travail et sa patrie. Un simple "bien joué" de sa part équivalait à la plus belle des récompenses pour un soldat. Qu'est-ce qui pouvait alors la pousser à s'attarder sur son cas?

-Ne nous mentons pas Major, vous êtes destiné à une carrière exceptionnelle. Si les grades n'étaient pas si formalisés de nos jours, vous seriez déjà colonel, croyez moi, et ce jour viendra de toute manière. Mais lorsque ce sera le cas, votre nation aura toujours besoin de vous. Alors, tant que vous êtes un simple Major, profitez. Vous ne pourrez plus prendre ce genre de vacances d'ici peu.

Était-ce...de la sympathie? Dans la voix du général Hiks? Cela suffit à désarçonner Erik, faisant pourtant d'accoutumée preuve d'un étonnant sang froid. Il la remercia de son conseil puis se mit en route, en gardant en tête les paroles de sa collègue. Elle n'avait peut-être pas tort. Oublier toutes ces histoires de grade et de devoir pendant une petite semaine ne pourrait pas lui faire de mal. Non. C'était absurde. Les sourciers représentaient un réel danger, surtout à une époque aussi fragile. En tant que soldat mais également en tant que citoyen, il se devait de les arrêter. Donner les ordres à ses subalternes fut l'affaire de quelques minutes. Le trentenaire passa devant le restaurant à propos duquel il avait des doutes, mais ne tenta rien. Un plan bien ficelé vaudrait mieux. À peine une heure après son départ, il était déjà de retour à l'hôtel, assis devant son ordinateur. Il suivit tous ces jeunes, un par un, observant le moindre déplacement...puis un détail flagrant lui apparut. Comment n'avait-il pas pu le remarquer auparavant? Cela pouvait pourtant s'avérer d'une aide précieuse! Bientôt dix heures. Son destinataire devait être éveillé. En quelques secondes, Erik envoya un texto à son frère.

Rejoins moi dans ma suite, la chambre 112. C'est urgent.

Élise et Ant s'étaient déjà rencontrés...

Contrairement à ses habitudes d'artiste, Ant s'était réveillé tôt ce matin. En effet, aujourd'hui, il devait présenter sa statue d'Elise sans-cire au jury. Rasé de près, il s'était contraint à porter son costume le plus élégant, qu'il trouvait bien évidement très peu seyant, et inconfortable. Il fut fort surpris lorsque son téléphone -une antiquité-, reçut le message de son frère. Il n'avait pas l'habitude d'entendre ce genre d'impératifs de la part d'Erik, et s'en inquiéta aussitôt. Le major ne pouvait lui demander cela sans une excellente raison. Sortant en trombe de sa chambre, il alla le retrouver. Il mit plus d'un quart d'heure avant de trouver sa suite, tant l'hôtel où ils logeaient était grand. Toquant à la porte, il attendit que son frère aille lui ouvrir...

Mode conversation rapide

L'attente parut interminable pour Erik. Lorsqu'enfin on frappa à sa porte, il se hâta d'aller ouvrir. Machinalement, il vérifia que son frère n'était pas suivi tout en sachant très bien de que de toute manière l'hôtel était, chambres mises à part, sous constante vidéo-surveillance, puis fit entrer Ant.

-Bonjour Erwan. Installe-toi, je t'en prie. Où plutôt non, viens voir ça. Enfin qu'importe, fait comme tu veux mais écoute moi.

Stress, excitation...tout se mêlait dans l'esprit du major. Ne sachant pas comment aborder le sujet, il préféra utiliser la méthode habituelle: la franchise absolue. Envers son frère, c'était bien normal. Oui, il lui avait toujours tout dit. Du moins, presque tout...mis à part qu'il était un sourcier. Cette pensée le fit tressaillir. Ne chassait-il pas ses semblables par peur d'être lui-même découvert? Il n'avait pourtant rien à craindre, étant donné que les plus hautes instances militaires le couvraient. Erik marqua un temps d'arrêt durant ces réflexions, mais se reprit bien vite. Il y avait du pain sur la planche. Après avoir farfouillé quelques instants sur son ordinateur, il parvint à afficher à l'écran une image où l'on voyait clairement Élise et Erwan ensemble. Il pointa l'adolescente du doigt.

-Il faut que je sache tout ce que tu sais sur cette fille.

Erik avait repris sa contenance. Il se tenait droit, l'air sérieux, la voix sobre, élégante, puissante.

Interloqué, Ant regarda son frère comme si il avait perdu la raison. Ou comme si il lui faisait une mauvaise blague.

- Elise? C'est mon modèle, à vrai dire! Mais d'où cet intérêt soudain pour mes muses? Généralement, tu ne veux pas entendre parler de mes conquêtes féminines!

Voyant que cette plaisanterie ne déridait pas Erik, le sourire disparu du visage du jeune homme, et il demanda :

- Mais qu'est ce que tu lui veux? Ce n'est qu'une adolescente!

Erik sourit intérieurement lorsque son frère évoqua ses diverses conquêtes, mais resta tout à fait sérieux. Il ne s'agissait pas seulement d'une quête personnelle: l'armée jugeait que les sourciers représentaient une menace globale, à un stade plus évolué que les sombrités. Ce n'était pas peu dire.

-Inexact. Elle n'est pas qu'une adolescente, il s'agit également d'une piste. Je ne pense pas qu'elle représente le moindre danger, toutefois j'ai fais des recherches à son sujet. Cette fille est une fugueuse, je vais la livrer aux autorités une fois que je me serais servi d'elle. Il est fort probable qu'elle puisse me guider à un réseau de sourciers. As-tu déjà entendu parler de Taetra? Je crois qu'elle est avec eux. Alors maintenant Erwan, dis moi ce que tu sais à son propos.

Dès qu'il entendit son frère prononcer le mot de Taetra, Erwan frissonna. Les sourciers rénégats, et leur combat, du terrorisme pur et dur selon Erik avaient toujours inspiré une certaine empathie chez le sculpteur. Son aîné ne l'aurait sans doute pas compris, car ignorant tout de la condition de sourcier du jeune homme, mais il ne pouvait s'empêcher d'être curieux à leur égard. Le système était loin d'être parfait, il était le premier à le reconnaître, mais il ignorait pour quelle raison un tel groupe pouvait décider ainsi de se rebeller contre la société. Il répondit néanmoins, d'un ton morne, qu'il avait accompagné la jeune fille jusqu'à une pharmacie dans le centre ville, et qu'il ne l'avait plus revu ensuite. Il évoqua aussi l'étrange jeune homme qui lui avait semblé suspect, et qui se prétendait être son petit ami.

- Si tu regardes les vidéos de surveillance, tu pourras peut être voir qui c'est... suggéra le sculpteur avec hésitation...

Pas vraiment coopératif, Erwan apportait au moins quelques informations utiles à son frère. Ce dernier avait effectivement pensé à observer les quatre jeunes, mais n'aurait en aucun cas cru nécessaire de s'intéresser à la journée de son cadet. Grâce aux indications temporelles, il parvint très vite à visualiser la garçon en question. Un type au physique assez banal, plutôt élégant, l'air un peu trop adulte par rapport à cette fameuse Élise pour être en couple avec elle. Quoiqu'après tout, il n'était pas si rare de voir des amants ayant des décennies d'écart.

-Intéressant... commenta le militaire, se parlant plus à lui même qu'à son frère. Tu ne saurais pas quelque chose sur lui? Son nom par exemple?

Il ne s'agissait là que d'une supposition, mais quelqu'un d'autre recherchait peut-être la fille. Si deux personnes s'y intéressaient ainsi dans la même journée, ça ne pouvait pas être le fruit du hasard: elle cachait quelque chose! Afin de découvrir quoi en premier, il faudrait être plus rapide que cet éventuel rival. La semaine ne serait pas de tous repos!

Le jeune homme se gratta la tête, pensivement...

- Je ne me souviens plus... Mais t'as pas un super ordinateur à reconnaissance faciale, comme dans les séries, pour le trouver?

Devant l'air dubitatif de son frère, il essaya de faire un effort... Au bout de quelques secondes de silence gênant, il déclara

- Chris... Il me semble qu'il s'appelait comme ça. Mais je ne l'avais pas trouvé très honnête, si tu veux mon avis...

Pendant qu'il vérifiait à une vitesse faramineuse le trajet de Marc, il écouta son frère d'une oreille attentive. Oui, tout collait.

-Oui, c'est parfait! Je crois que ce garçon n'a rien à voir avec Élise, regarde: là, tu vois?

Sur l'écran, Marc et ses amis bousculaient en boucle le modèle d'Ant sous l'œil attentif -et l'air légèrement jaloux- de Jude. Une simple poignée de main, puis tous repartaient de leur côté. Était-ce un comportement normal pour deux personnes en couple? Même s'ils jouaient à un jeu quelconque, n'y aurait-il pas du y avoir un sourire, un trouble perceptible? Si Erik avait appris une chose de ses multiples interrogatoires, c'est que si les mots pouvaient être faux, le corps restait honnête. Soit ce Chris était un véritable professionnel, ce qui à son âge semblait invraisemblable, soit...

-Aucune réaction, ils partent chacun de leur côté. Ce type t'as embobiné, il cherche Élise. Si je la trouve, je la renvoie chez elle. Si il la trouve, qui sait ce qu'il lui fera? Pour sa propre sécurité et le bien de la nation, il faut que tu m'aides! Que t'as dit ce Chris? Même des détails anodins, raconte.

- Attend, attend, Erik! Pour le bien de la nation? Qu'est ce que c'est que cette histoire? Elise est juste une adolescente comme les autres. Il y a quelque chose que tu ne me dis pas...

Il regardait son frère d'un air suspicieux. Il ne voyait pas le rapport entre cette fille et les taetras...

Erik poussa un soupir résigné. Il ne voulait pas perdre de temps, mais il était normal que son frère soit curieux. Le mettre dans de bonnes dispositions faciliterait la tâche de toute manière, aussi le militaire répondit-il à la question du sculpteur:

-Cette adolescente n'est pas comme les autres. Elle est arrivée au salon dans une voiture noire aux vitres teintées, a émit en public des craintes quant à la découverte de l'identité de ses semblables et d'elle même, est selon mes recherches une ancienne sourcière à qui l'on a ôté son pouvoir, et elle est hospitalisée à Pabarce, ville dont elle s'est enfuie alors qu'elle y était sous surveillance médicale. Qu'elle ait un lien avec Taetra ou non, je dois de toute manière faire en sorte qu'elle rentre chez elle. Qui plus est, si, comme je le pense, elle a un lien avec Taetra, sa collaboration volontaire ou non pourrait m'aider à démanteler cette organisation criminelle, et à sauver des dizaines, voire des centaines de vies innocentes. Cela suffit-il à rendre ton adolescente moins anodine?

- Je ne sais pas Erik répondit Erwan avec tout autant de lassitude... C'est une fille bien, et je ne vois pas comment elle pourrait être liée de près ou de loin à une telle organisation terroriste..

Les questions s'entassaient dans la tête du sculpteur. Si son frère disait vrai, quels en étaient les débouchés? La jeune Elise semblait être dans une situation pour le moins dangereuse. Il se promit de l'aider au mieux de ses capacités, et même si cela devait aller à l'encontre de son frère... Néanmoins, sauver des centaines de vies, comme le laissait penser Erik, n'était pas négligeable.

- En tout cas, tu l'as sans doute remarqué, mais elle doit être gravement malade... Un cancer, sans doute, ou une maladie très grave, nécessitant une chimio intensive... Elle aurait sans doute besoin d'un peu de calme...

Ce détail n'avait effectivement pas échappé à Erik. Il s'agissait d'une fille très malade, peut-être en fin de vie. Une cible d'autant plus facilement manipulable. "On t'a enlevé ton pouvoir et tu va mourir, il faut que tu te venges". Vu sous cet angle, on pouvait embrigader n'importe qui. Visiblement, Erwan tenait à l'adolescente. Jouer là dessus serait la clé pour amadouer le sculpteur. Toujours aussi imperturbable, le major continua:

-Tu as raison, et je pense qu'une maison familiale serait plus calme que le repère de terroristes. Il n'est pas impossibles qu'ils se servent d'elle contre son gré. Il y a beaucoup à supposer...nous n'en saurons pas plus tant que l'enquête n'avancera pas. Aussi ais-je besoin de ton aide, pour le bien de tout le monde, Élise y compris.

Bien que ses propos fussent totalement légitimes, il n'arrivait pas à se convaincre qu'il était honnête. Parler aussi librement des sourciers devant son frère ne pouvait que lui rappeler moult souvenirs de son enfance durant laquelle il faisait tout pour cacher son don. Il savait, l'adolescence atteinte, que l'armée serait le seul endroit où on lui trouverait une utilité. L'homme avait tendance à détruire ce qu'il ne pouvait pas avoir, alors Erik avait décidé de se livrer aux hommes, à faire semblant d'en être un comme les autres. Lui aussi, à présent, devait détruire pour ne pas être détruit. Une fois qu'il serait haut gradé, même si l'on découvrait sa vraie nature, qui lui ferait le moindre reproche, à lui qui aurait démantelé Taetra? Un tableau glorieux, dont les traits ne pouvaient s'embellir qu'à l'aide d'Erwan.

-Je t'en prie Erwan, il n'y a pas de temps à perdre. Le SSAM est une réunion titanesque, ils frapperont peut-être à ce moment là.

Les Taetras... L’obsession d'Erik. Erwan s'était toujours demandé pourquoi il était aussi fasciné par un groupe terroriste qui ne frappait finalement que très rarement. Même si il ne l'admettrait jamais, lui aussi avait cette fascination pour eux, mais de manière bien plus personnelle, sans doute, que son frère. Il pourrait y trouver tellement de gens bien plus compréhensifs que ses amis, sur ses pouvoirs...

Il se souvenait de la seule personne à qui il avait montré son pouvoir, il y a de cela quelques années. Une jeune fille qu'il aimait éperdument, et qui l'avait rejeté pour ce qu'il était... Il se rappelait très bien des derniers mots de la femme, qui l'avait traité de monstre, et s'était enfuie aussitôt après, pour ne jamais le revoir. Si Elise avait été comme lui, peut être était ce pour cette raison qu'il ressentait une certaine affinité avec l'adolescente...

Malgré ses doutes, il voyait bien les craintes d'Erik. Leurs liens fraternels étaient fort, et il tenta de l'aider du mieux qu'il pouvait. Il essaya de lui donner le plus de détails sur ses échanges avec Elise, mais ne révéla pas le lieu où il l'avait accompagné, prétendant un trou de mémoire. Il avait le désir de mener lui même sa propre investigation à ce sujet...

Erik connaissait bien son frère. Ceci, couplé à son expérience, faisait qu'il ne pouvait pas tomber dans le panneau: son cadet ne lui disait pas tout. Il était étrange qu'il ne coopère pas avec lui alors qu'ils étaient d'une grande complicité au quotidien. Cela cachait quelque chose. Le major décida d'insister.

-Essaie tout de même de te souvenir. Au moins du quartier, après je n'aurais qu'à faire le tour des pharmacies, ce n'est pas un problème.

Il aurait aimé lui demander de revoir Élise, de l'espionner - ce serait plus simple étant donné qu'il la connaissait - mais il ne voulait pas le brusquer. Pas encore.

Erwan connaissait son frère tout aussi bien que lui, le connaissait! Son omission volontaire n'était pas passé inaperçu... Le sculpteur devinait qu'Erik n'insistait que peu, pour revenir à la charge plus tard.

- Je ne sais plus... Tu sais, je ne connais pas très bien la ville. On s'est perdu à plusieurs reprises, car elle ne connaissait pas l'endroit non plus... Quelqu'un lui avait indiqué l'endroit, il me semble...

Faisant mine de réfléchir, il finit par indiquer un endroit à l'opposé de la pharmacie où ils étaient allés, ainsi il aurait une longueur d'avance sur son frère...

Erwan était un garçon très intelligent. Malgré son flegme agaçant, il avait toujours fait preuve de capacités intellectuelles supérieures à celle de son frère. Enfants, il le surpassait toujours pour les épreuves de calcul mental, de logique, ou tout autre exercice du genre. Qu'il ne se souvienne plus d'un lieu dans une ville inconnu n'avait rien d'étonnant. Qu'il soit déboussolé à ce point était en revanche incompréhensible...et totalement surjoué. Erik perdit son sang froid et tapa du poing sur son bureau, un peu plus fort qu'il ne l'aurait voulu.

-Bon sang Erwan, qu'est-ce qui ne va pas? Je t'ai dis qu'il n'allait de toute manière rien arriver à cette fille, alors pourquoi la couvres-tu? Je te propose mon aide pour la protéger, alors pourquoi la refuses-tu? Je ne sais pas ce que tu manigance, mais ce n'est pas le moment de jouer au cow-boy!

Il était rare, voire exceptionnel qu'Erik sermonne son frère. Il avait toujours été calme, compréhensif, préférant inculquer les valeurs en inspirant l'admiration plutôt que la crainte. S'il devait y avoir confrontation, il se savait toutefois meilleur que son frère, surtout s'il était question de traquer quelqu'un. Malgré ce qu'en disaient les contes, un lièvre ne perdait pas une course face à une tortue.

Le ton montait entre les deux frères. Et pour une fois Erwan ne se rétracterait pas face à Erik. Il était sans doute depuis toujours l'incarnation de la raison, mais Erwan voulait écouter son instinct, pour une fois, dont il avait la conviction qu'il était le bon!

- Parce que la manière dont tu résous les conflits, et la manière dont l'armée résout les conflits est loin d'être la meilleure! Que sais tu des Taetras? Rien du tout! Pourtant, tu as décidé de les annihiler, et cela par la force brute. Tu résous les problèmes en écrasant ceux qui résistent. Le véritable moyen, c'est la parole! Tu les juges sans les connaitre, comme le gouvernement tout entier! As tu déjà lu au moins une fois leurs requêtes? Je suis convaincu que non! Et puis, tu promet la sécurité d'une gamine, mais tu n'es que major! Ceux qui sont au dessus de toi - et tu sais que j'ai raison- auront sans doute un tout autre avis sur la question! Et tu pourrais bien déclencher une chaîne de flamme dont tu n'aperçois même pas les conséquences!

Il se faisait l'avocat du diable, en défendant l'organisation criminelle, et ses arguments étaient bien moins fondés que ceux de son frère. Pourtant, il avait décidé que cette fois, il ne céderait pas!

Les mots de trop. Le stress et l'ambition accumulées par Erik ces derniers jours, combinés à la frustration engendrée par le refus de son frère, firent entrer le Major dans une colère noire. Tout à coup, les veines de son cou devinrent saillantes, tandis que son regard se durcissait, adoptant un éclat aussi froid que l'acier. Sans même penser à l'utiliser mais sachant que cette posture impressionnait bon nombre de gredins, le militaire posa une main sur la poignée de sa rapière tout en scrutant son cadet. Son corps entier était aussi tendu qu'un arc dont la corde allait craquer. Même le plus avisé des politiques aurait craint les paroles à venir. Le ton fut incroyablement sombre.

-Tu es mon frère, Erwan, et de ce fait il est de mon devoir de te pardonner quoi que tu puisse faire. Sache toutefois que sans ce lien du sang qui nous unit je n'aurait pas hésité un seul instant à régler ce conflit par la force brute dont tu parles pour que tu acceptes de collaborer avec ce qui est juste! Non, je n'écouterais jamais ce que des criminels ne parlant qu'en leur propre nom ont à dire! Oui, en tant que Major de l'armée thoemienne et également en tant que père, je suis prêt à assurer la sécurité d'une enfant! Et oui, je vais annihiler cette organisation pour la simple et bonne raison qu'il s'agit là d'une tâche incombant à n'importe quel être sensé vivant sur cette planète!

Erik reprit enfin sa respiration, à peine un quart de seconde. Sans laisser à son frère le temps de répliquer, il continua:

-Je vais désormais t'apprendre une chose. Ce que tu es en train de faire porte un nom: il s'agit tout simplement de complicité envers des criminels! Je peux et je veux te protéger toi aussi petit frère, mais comme tu me l'as toi même rappelé, si ceux qui sont au dessus de moi apprennent que tu collabores avec les ennemis de l'humanité, il y a bien des problèmes que tu encourras, tout ça sous prétexte de vouloir couvrir une gamine dont tu ne sais absolument rien de concret, si ce n'est ce que je t'ai appris d'elle il y a quelques minutes. La situation te semble-t-elle plus claire, à présent, mon frère?

Les deux derniers mots n'étaient pas une formule. Ils étaient une pique. Mortellement acérée. Au dessus du bâtiment, plusieurs nuages noir avaient fait une apparition soudaine.

Le long monologue d'Erik avait impressionné Erwan, voir l'avait presque effrayé, néanmoins, il tint bon, et regarda son frère droit dans les yeux.

- Si tu restes aussi borné dans tes décisions, utilisant le mot de criminel juste parce qu'on te l'a enseigné, tu es libre de rester borné! Il est bon de voir qu'il existe encore d'honnêtes soldats, ne se posant pas de questions, et suivant les ordres! Peut être attend tu sagement l'os que te donneront tes supérieurs pour l'extermination de soit disant terroristes dont personne ne connais rien, et dont on ne recense aucun attentat! Si je suis un criminel pour la simple raison d'une quête de vérité, et bien soit!

Il regarda son frère un instant, puis sortit en claquant la porte. Une fois celle ci close, il resta une dizaine de secondes immobile, observant ses mains tremblantes du conflit. Puis, un peu plus sur de lui, il sortit de l'hôtel, partant en direction de la pharmacie, le dernier endroit où il avait vu Elise. Il ne faisait pas confiance aux taetras, mais si la jeune fille était entre leurs griffes, il comptait bien l'en sauver. Le jeune homme s'engagea dans le dédale de rues, jusqu'à retrouver la boutique. Il y entra sans hésitation, et tomba sur un homme, sans doute le pharmacien. Ne sachant pas réellement comment l'interroger, il s'approcha de lui avec une certaine gêne visible.

Ainsi, Erwan avait choisi son camp. Frère ou pas, lorsqu'il s'agissait d'un devoir, Erik ne faisait pas de distinction. S'il devait mettre ses proches sous les barreaux afin de protéger des innocents, il le ferrait sans le moindre remord. Il s'agirait d'un véritable déchirement, certes, mais il aurait conscience d'agir comme il se devait de le faire. Le militaire laissa plusieurs minutes s'écouler avant de prendre une décision, minutes durant lesquelles il tenta de penser comme Ant. Où avait-il bien pu aller? Quel objectif suivrait-il suite à cette première dispute? Même si aucun signe ne le trahissait, Erik était tout aussi chamboulé que son cadet, aussi ne parvint-il pas à penser convenablement. L'idéal serait de le prendre en filature. Après avoir enfilé la veste de son uniforme, le trentenaire sortit à son tour de l'hôtel. Malgré la foule, il n'eut aucun mal à suivre son frère: il avait depuis longtemps placé un mouchard dans son téléphone. Il se lança donc à sa poursuite tout en conservant une rue de retard et en se fondant dans la foule. Quelle que soit la destination d'Erwan, il ne tournait pas en rond. Sa trajectoire ne laissait aucun doute possible: il savait où il se rendait, s'en souvenait parfaitement. Il lui avait menti.

-Monsieur Saori!

Le major fit volte face. Deux journalistes le suivaient, équipés de tout l'attirail nécessaire pour une interview. Il n'avait pourtant fait aucune apparition spectaculaire dans les médias, et si son nom évoquait vaguement quelque chose aux citoyens thoemiens, il n'avait en revanche aucune notoriété à Néris. À moins que cela ne concerne cette participation à la démonstration lors du salon...

-Major, que pensez vous d'Eliott Iste et de ses recherches? Pensez vous qu'il serait juste de remettre un prix d'une telle importance à un homme œuvrant pour la mort?

Gagné. Durant le SSAM, la capitale était emplie de représentants de la presse. Ils lui faisaient perdre un temps précieux, d'autant que le sujet ne l'intéressait pas le moins du monde à l'heure actuelle. Il n'aurait toutefois pas été correct de les ignorer. Au même instant, dans la grande pharmacie semi-clandestine, le bruissement émis par les roulettes de la chaise s'arrêtèrent net. Dos au client, le médecin se retourna lentement, sans lever ses yeux d'une notice dont il rayait les parties qu'il jugeait inutile. Les laboratoires donnaient vraiment n'importe quoi aux patients pour leur faire payer plein pot.

-Oui, vous désirez? demanda-t-il en daignant enfin observer le nouvel arrivant.

Fait étrange, il s'agissait d'un jeune homme, qui plus est paraissant en parfaite santé. Le médecin nota toutefois qu'il semblait presque gêné. La plupart du temps, ce type de clients venaient tous pour la même chose. Du bout de l'index, il désigna un étalage situé à sa gauche.

-Si vous êtes venus pour des préservatifs, c'est là bas.

-Je -Humpff-. bafouilla Ant, rougissant légèrement. Je ne suis pas venu pour des préservatifs, mais pour un renseignement, à vrai dire.

Le sculpteur marqua une pause, avant de reprendre, bien plus sérieusement :

- Une amie à moi est venue ici, hier. Elle s'appelle Elise, et je pense qu'elle pourrait être en danger.

Erwan n'ajouta rien, ne voulant pas donner d'avantage de détails qui pourraient mettre en danger l'adolescente, ou lui même. Néanmoins, il avait essayé d'être le plus sincère possible, et espérait que l'homme l'aurait remarqué...

Le médecin jaugea rapidement son interlocuteur. Quelle que soit sa raison pour courir après la fille qu'il cherchait, il semblait réellement se faire du soucis. Il ne pouvait toutefois pas donner à n'importe qui les coordonnées du QG de Taetra: malgré sa démission, l'organisation lui faisait confiance et le sollicitait souvent pour divers soins. Sur le ton le plus neutre possible, il répondit:

-Vous parlez d'Élise Bottero, l'amie de la fille de Joseph Mayer? C'est cette fille qui a un cancer, les cheveux courts, toujours un chapeau sur la tête, l'air un peu fatiguée?

La notice qu'il étudiait traînait désormais sur le comptoir. Cela n'avait plus aucune importance à ses yeux à l'heure actuelle.

-Elise, exactement! s’exclama Ant! Ecoutez, je pense qu'elle est dans les ennuis jusqu'au cou, et qu'elle risque de se retrouver entre deux feux.

L'homme semblait en savoir plus que lui sur le compte de la jeune fille. Il ne s'attendait pas du tout à ce que le pharmacien soit aussi bien informé. C'était sans doute pour lui un énorme coup de chance.

L'homme prit un air pensif. Si Élise était réellement en danger, deux options s'offraient à lui: soit il disait tout ce qu'il savait à cet inconnu, soit il l'envoyait balader et il prévenait lui-même Taetra. L'organisation serait sans doute mieux placée que son interlocuteur pour mener l'enquête, si jamais le risque s'avérait bien réel. Il ne voyait d'ailleurs pas ce qu'une nouvelle recrue avait à craindre en présence de sourciers expérimentés et d'un des plus puissants relais au monde, mais soit. La deuxième option s'imposa à lui. Après quelques longues secondes durant lesquelles il gratta sa barbe naissante, il adressa à Erwan un sourire en coin.

-Jamais entendu parler.

Sans plus attendre, il appuya ses pieds sur le rebord de son comptoir et y donna une grande impulsion, projetant sa chaise dans le couloir principal de l'arrière boutique. D'un mouvement de rein, il prit un angle droit parfait, puis disparut dans les méandres de ses étagères.