Je me souviens encore de l'agréable caresse du soleil et de l'odeur iodée de l'air d'Aldrik. Les astres continuent de tourner comme il se doit, l'océan ne nous a pas quitté, mais aujourd'hui trop de choses nous empêchent de profiter de ces plaisirs simples. Enfant, je ne me rendait pas compte de la terreur dans laquelle notre cité entière vivait. Les années passèrent, puis je me rendis compte que le monde entier connaissait ces mêmes craintes. Les sombrités attaquaient chaque nuit, emportaient nos proches, nous laissant démunis. Longtemps, nous nous sommes cachés. Les barricades que nous formions, bien que d'une qualité douteuse, tenaient le coup. S'agissait-il toutefois d'une vie à proprement parler? Pouvions nous continuer de nous terrer chaque nuit à cause de ces monstres tentant de prendre tout ce que nous avions? Hors de question. Pourtant, nulle solution ne nous venait à l'esprit: même l'armée se faisait décimer.
Adolescent, j'ai découvert ce qu'était la source. Une énergie incroyable, enjôleuse, coulait en mois depuis ma naissance sans que je ne m'en sois jamais rendu compte. Accompagné de certains de mes amis sourciers, nous nous sommes entraînés sans relâche pour être en mesure de faire face à ces monstres. Avec notre volonté, ce fut Aldrik tout entier qui retrouva espoir. Nos concitoyens, qu'ils disposent de pouvoirs ou non, redoublèrent d'efforts pour être en mesure de se battre. Nous ne savions pas si nous pouvions gagner, mais nous ne voulions pas entendre dire que Desar était le pays des lâches, d'autant que nos voisins nordiques s'insurgeaient eux aussi. Les défenses tenaient bon, aussi avons nous décidé d'attaquer. Ces années furent les plus glorieuses de ma vie: la cité, pendant presque une décennie, a tenu tête à l'ennemi. Ce fut alors qu'ils revinrent, toujours plus nombreux, toujours plus puissants. À notre contact, certains se faisaient volontairement imploser pour permettre aux autres de nous surprendre. Nul ne savait s'il s'agissait d'intelligence ou d'instinct prédateur, et peu nous importait: le fait était qu'ils faisaient preuve d'ingéniosité.
Ce ne fut que lorsque le désespoir menaçait de nous emporter que nos héros sont apparus. De parfaits inconnus, certainement pas des gens du coin à entendre leur façon de parler. Jamais je n'avais vu de sourciers aussi puissants. On a tenté de m'expliquer la notion de relais, chose à laquelle je ne me suis pas intéressé. D'une manière ou d'une autre, ils asservissaient les sombrités, les forçant à se cacher. Une soumission absolue. Le monde entier les a glorifié, des livres ont été écrits sur eux, des fêtes organisées en leur honneur. Nous leur avons apporté mille victuailles, mille présents, et ils nous ont en retour aidé à reconstruire Aldrik à l'aide de leurs pouvoirs sans limite. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ensuite. La gloire, la soif de pouvoir, l'argent. Après avoir soumis les sombrités, ce fut la terre qu'ils soumirent. Les forces de police sont apparues dans nos rues, les médias ont été censurés, des couvre-feu ont été instaurés, tout ceci pour notre soit-disant sécurité. Certes, nous n'avons jamais eu à nous plaindre d'une quelconque menace dans les premiers temps, et suite à la guerre, tout le monde s'en réjouissait.
Je n'avais pas la force de voir ma cité décliner ainsi. J'ai entreprit un tour du monde en solitaire. Ce que j'y ai vu m'a tout d'abord étonné, puis estomaqué, et enfin dégoûté. L'intégralité des gouvernements s'étaient laissés corrompre par ceux que nous appelions des héros. La paix devint factice tant le nombre de guerres civiles et de crimes augmenta. Beaucoup d'organisation tentèrent de rendre au peuple sa liberté, mais la population était loin d'être unanime. La violence s'avéra peu à peu être de mise, apportant avec elle son lot de terreur pour tous. Que fallait-il craindre le plus, les sombrités ou l'avidité des hommes? Pendant vingt-cinq ans, j'ai étudié la situation dans chaque pays, dans chaque ville importante, dans chaque parti, voire dans certaines organisation illicites. Il n'y avait là aucune recette valable. Pas de solutions, seulement d'autres problèmes. Désemparé, je me disait que le monde pouvait bien couler, peu m'en importait! Le monde, mais pas Aldrik. Je suis retourné chez moi. Jamais plus je n'ai ressenti la caresse du soleil, jamais plus je n'ai senti l'iode dans l'air.
Témoignage extrait d'un blog, auteur anonyme