Jour 4 : Duels (1/2)

Le tueur à gage fut pour le moins surpris de la réponse de Yuko. Il s'était attendu à un énième discours sur la morale et les actes malfaisants, et il ne percevait rien de cela dans le discours de l'adolescent. Non, il s'agissait simplement d'un esprit de compétition, certes tordu et pervers, mais tout de même. Même si Yuko ne semblait pas le moins du monde prendre au sérieux les affaires qui occupaient toujours l'esprit d'Artémis, le détective tentait, avec son empathie hors du commun, d'anticiper ses prochains mouvements. Bouche-bée par autant de sincérité, il mit un certain temps avant de répondre à son interlocuteur, avec autant de sincérité qu'il le pouvait. Une lueur de respect sembla, pendant un centième de seconde briller dans ses yeux. Il décida de répondre aussi honnêtement à son adversaire.

- Ainsi, tout ce que tu cherches, quand tu viens mettre ton nez dans mes affaires, c'est l'excitation d'un affrontement avec un "égal". Il est drôle de voir qu'à ton âge, mes motivations étaient très similaires aux tiennes. Devenir le meilleur dans mon "art". Mais prend garde -il se mit nez à nez avec Yuko- une fois que l'on entre dans ce genre de jeux, il est pratiquement impossible d'en sortir.

Il marqua une pause, réfléchissant.

- J'aurais pu intégrer le système, comme Gareth l'a si bien fait il y a au moins dix ans de cela. Mais lorsque l'on se lance dans quelque chose aussi hardament que je l'ai fais, il semble impossible d'en sortir. Des années et des années de crime organisé. Que deviendrais-je si j'abandonnais? C'est une partie de moi -grand merci à mon créateur- et je me sentirais vide sans ces machinations. Mais tu en es parfaitement conscient, car le même désir de démarcation et de réussite t'anime.

Yuko acquiesça. Les créateurs. Peut-être n'était-il pas nécessaire de chercher plus loin. Ils avaient créé Artémis tel qu'il était, et il ne pourrait plus changer. Bah, qu'importait. Il en avait déjà assez de philosopher.

-Mon désir de réussite n'est pas resté au stade du désir, lança le jeune homme, cinglant.

Il était fier de sa pique et le cachait à peine. Au fond, son comportement présentait bien des traits enfantins. Cela non plus, il ne s'en cachait pas. Il acceptait qui il était sans détour. Ceux qui l'appréciaient pouvaient le lui exprimer, ceux qui s'opposaient à lui ou au moindre aspect de sa personnalité pouvaient également l'afficher sans crainte. Yuko remarqua que le nom de Gareth revenait souvent dans les conversations. Angélyna, Lilia, le public en règle générale et à présent son ennemi en venaient à parler de lui. Il était vrai que son parcours était fascinant. Avec quelques années supplémentaires dans le milieu du crime, il serait devenu le bras droit d'Artémis. Sa rédemption avait été due en grande partie à ses liens avec l'institut, cette famille factice qui l'empêchait de sombrer définitivement. Yuko ne regardait plus le criminel. Il se contentait d'écouter ses dires, de décrypter le ton de sa voix, de comprendre ce qu'il se cachait derrière les mots. L'évidence lui parvint. On lui aurait probablement conseillé de garder le silence, mais c'était justement en allant à l'encontre des recommandations qu'il était devenu si bon, aussi prit-il la parole.

-Tu prévois quelque chose, n'est-ce pas ? C'est pour une bonne raison que tu restes ici. Je veux savoir pourquoi. Je pourrais le découvrir par moi-même. Mais je préfères te le demander. Alors ?

Être aussi frontal avait tendance à surprendre. Yuko comptait là-dessus sans trop y croire. Cet Artémis étaient de ceux qui pouvaient passer outre les détecteurs de mensonge les plus développés du monde, alors qu'il passe aux aveux si facilement relèverait du miracle. Mais il ne perdait rien à essayer. Garder ses soupçons secrets n'aurait mené à rien compte tenu de la prévoyance du criminel. S'il se savait surveillé, il avait en revanche plus de chances de commettre des erreurs.

Je souriait a Melody. Sa question était intéressante, mais je ne doutais que peu de l'issue du combat. Au final, je ne fis qu'augmenter légèrement le suspens de par ma réponse.

Sur le terrain, June se replia dans sa cathédrale, qui entreprit d'encaisser les dégâts à sa place. Il tendit alors les bras tout en faisant face à Kiwi.

[ https://www.youtube.com/watch?v=tsJxowpebEM ]

Dans les tribunes de Taetra, on se leva pour admirer l'ultime recours de June, encore inconnu, même de leur part. Alors, les portes du bâtiment de lumière s'ouvrirent et les vitraux éclatèrent, laissant jaillir de plus longs rais de lumière, qui, tels des parasites, commencèrent à dévorer les parts d'ombre sur le terrain ... Ainsi que sur le corps de June. Sa peau fut rapidement couvertes de fractures dorées, qui bientôt remplacèrent toute la surface noire de son corps, ses yeux jaunes passèrent au blanc. Il apparaissait là comme un véritable ange descendu du ciel. Un chœur se mit à chanter depuis les vitraux, qui laissaient s'échapper des hirondelles de lumière, qui se mirent à pleuvoir sur les rayons d'ombre de Kiwi, et explosèrent à leur rencontre, faisant à leur tour reculer l'ombre présente sur le terrain.

June tendit alors les bras devant lui, et tout en rugissant férocement, provoqua un rayon d'une envergure gigantesque, colossale, dont l'intensité le rendait presque invisible, sur ce terrain d'albâtre. Il ne fallut pas longtemps aux guides pour protéger les yeux des spectateurs de cette lumière aveuglante. Pour ma part, je me contentais de lunettes de soleil originellement destinées à observer des éclipses.

La structure dans laquelle s'était dissimulée June le protégea d'une attaque que Kiwi pensait imparable, sans subir le moindre dommage. La bête marqua un temps d'arrêt, stupéfait, avant d'entendre les mots de l'oméga. Apparues par dizaine pour soutenir leur leader, les sombrités disparurent peu à peu dans l'ombre, obéissant à l'ordre silencieux de celui-ci. Leur soutien avait été précieux, mais ils ne pouvaient à présent rien faire de plus ; autant ne pas risquer leurs vies inutilement. Kiwi n'était pas apte à ressentir la colère, pourtant l'envie pressante de vaincre son adversaire se faisait plus présente que jamais. Une extermination. Peu importaient les mots qu'il utiliserait pour qualifier ses intentions, il ne s'agissait de rien d'autre que d'un génocide. Bien entendu, les humains craignaient les sombrités, ces fantômes de leurs pouvoirs passés. Avaient-ils pourtant pris soin de s'intéresser à eux ? Les seuls à présenter la moindre agressivité étaient sous le contrôle total de Maffert. Quant aux sombrités libres, elles se contentaient de vagabonder, sans but, fuyant toute lumière. Un peuple d'esclaves. Pour la première fois depuis leur apparition, ce peuple commençait à s'éveiller. Il s'unissait autour des alphas, trouvait sens à son existence. La création de June allait à l'encontre du principe d'humanité que ces bipèdes ne cessaient de prôner. Ils reproduisaient encore et toujours leurs erreurs en s'opposant à l'inconnu. Il ne restait qu'un moyen de sauver les siens pour Kiwi. Il devait transcender l'oméga. Vaincre cette menace, surpasser les hommes, et leur montrer la voie de la paix véritable. Aucun d'eux ne l'écouteraient, bien sûr, mais au moins laisseraient-ils les siens vivre la vie qu'ils méritaient d'avoir. L'incroyable énergie de June fusa sur l'alpha, seul point noir au milieu d'un univers nacré. Seul contre tous. Il n'accepterait pas ce destin qu'on lui imposait, tout comme Élise avait refusé de mourir en vain.

L'adolescente en question restait immobile, droite. Elle ne comptait pas s’apitoyer du sort de Kiwi, ni se mettre à trembler de peur à l'idée de le voir souffrir. Elle était fière de lui. Fière qu'il se dresse face à un monde injuste qui lui voulait du mal. Lui, la sombrité, représentait l'idéal de Taetra bien plus que l'immense majorité de ses membres éminents. Inévitablement éblouie par l'intensité de la lumière de June, elle baissa son chapeau jusqu'à qu'il passe devant ses iris, et tenta vainement d'observer le sol blanc de l'arène. Seuls de rares individus, du fait de leurs pouvoirs ou d'un dispositif approprié, purent voir de leurs propres yeux le résultat de cet assaut dévastateur. La plupart se contentèrent de fixer les écrans, où l'on vit l'amas immaculé poursuivre sa route vers Kiwi. L'attaque avait beau être vive, l'alpha aurait eu la possibilité de l'éviter s'il n'avait pas décidé de faire face. June l'avait peut-être oublié, mais c'était d'énergie qu'il se nourrissait. Enfonçant ses griffes dans le sol, il tendit les antennes vers le rayon délétère. Le choc fut d'une violence inouïe. Sur toutes les parois de cet espace blanc, de larges fissurent apparurent, tandis que les perturbations furent plus nombreuses que jamais. C'étaient parfois des quartiers entiers de ville qui tombaient dans l'arène, jaillissant de nulle part. Des tranchées blanches se dessinaient sur la peau sombre de Kiwi, formant des motifs abstraits tandis que l'intensité de la lueur de ses yeux croissait. Le rayon, lui, perdait en force à mesure qu'il se dispersait. Peu à peu, on put le voir rétrécir tandis que l'épiderme de l'alpha adopta la couleur opposée à la sienne. Plus de lumière mortelle. Kiwi l'avait absorbée dans on intégralité. Ses antennes tressaillirent, puis une onde de choc émana de l'alpha, brisant l'univers immaculé. Ne restaient plus que Kiwi et June sur le sable de l'arène. La sombrité se remit debout alors que les pores de sa peau s'évaporaient. Il ne pouvait contenir cette nouvelle énergie en lui. Il l'avait su dès qu'il avait commencé à se nourrir. Il avança lentement vers son adversaire tout en disparaissant, jusqu'à arriver à quelques mètres à peine de lui.

-Tu es l'erreur.

La créature, haute d'une cinquantaine de centimètres, réapparut sur la rambarde dans gradins de Taetra alors que le portait de June s'affichait sur tous les écrans. Les noms des huit finalises étaient à présent connus. Kiwi alla retrouver sa place dans les bras de sa maîtresse mais ne réagit pas comme d'accoutumée à ses caresses. Élise ne le sentit pas ronronner comme souvent. À la place, ses petits doigts s'accrochaient au dos de l'adolescente, qui comprenait que quelque chose avait définitivement changé en lui. Et son petit doigt lui disait que ce changement affecterait durablement le monde dans lequel ils vivaient.

Yuko laissa son ennemi de toujours s'éloigner sans mot dire. D'ici, il ne pouvait rien faire d'autre que de l'observer de ses propres yeux puisqu'on ne lui donnait pas accès aux technologies habituelles. Hors de question pour autant de demander une aide quelconque aux guides, ou à qui que ce soit d'autres pas même à Lilia. Dans des cas aussi incertains, il ne fallait faire confiance à personne. Le jeune homme soupira. Pour l'heure, ses mains étaient liées. Après s'être à son tour resservi une grande tasse de café, il retourna dans sa chambre, et demanda à l'un des guides qui passait par là d'y mettre de l'ordre. En un claquement de doigt, chaque objet retrouva sa place. Pratiques, ces larbins. Yuko alla s'installer devant son ordinateur encore éteint, oubliant complètement le dernier combat pour lequel il ne portait en fin de compte que peu d'intérêt. Son regard se durcit. Artémis avait beau faire le malin, sous peu, il comprendrait pourquoi les prisons de Cardith étaient remplies. Le guide venant de rendre service au détective se stoppa devant la porte de son adversaire et y déposa une petite statuette dorée dont quelqu'un avait, lui semblait-il, exprimé le désir.