Wuhm

Alix se gratta le menton pour trouver une autre idée : personne n'avait relevé sa proposition de tenir tous sur le cheval-nain-sans-nom, et ce n'était pas une si mauvaise chose : après tout, le pauvre animal était un fainéant de premier ordre, puis, il faisait une tête de mule... Ce qui était embêtant pour un cheval.

La jeune tapissière renvoya un sourire éclatant à Oloren. Il n'y avait pas à débattre plus longtemps : ses cheveux incroyables donnaient à son visage angélique une folie et une originalité sans pareilles. Elle ne lui avait pas beaucoup parler depuis le début du voyage, mis à part sur le bateau bien entendu. Mais son innocence, sa carapace qui s'était brisée à la vue d'Erlyn l'avaient terriblement touchée. L'incompréhension, le doute, la peur. Alix ne connaissait pas ces sentiments, elle qui avait passée son temps à faire ce que l'on attendait d'elle, croyant désespérément aux promesses futiles, rêvant avec optimisme à un futur meilleur. Elle savait qu'elle était naïve à en paraître idiote, contrairement à Oloren, discrète mais au caractère bien trempé. Les deux jeunes filles se complétaient parfaitement, l'une s'abreuvant de l'expérience de l'autre et tentant de se comprendre malgré leurs différences. C'était un message d'amitié et d'espoir qu'elles véhiculaient intérieurement.

- Ça veut dire qu'on va chevaucher des loups ?! Trop énorme !

Laly, elle, était moins enthousiaste. Irwan avait peut-être raison, c'était sûrement parce qu'elle était révulseuse qu'Iyoh avait voulu la tuer ... Mais que ce serait-il passé s'il s'était rendue compte qu'elle était nailikainne ? Qu'ils s'étaient très probablement déjà croisés au détour d'une ruelle ? Après tout, elle s'était enfuie dans l'illégalité la plus totale, avait délaissé sa patrie et aller contre la volonté du nouveau régime, dirigé par un certain Igole Vrag. Cet homme était détestable, écœurant et vicieux. Rien qu'à y penser, Laly frissonna.

- Si je comprends bien ... C'est moi qui vous mets en danger ? Les Ombres ne lâcheront jamais.

Snori s’apprêtait à objecter la question de Laly en se faisant le plus amical possible, mais une fois de plus, Irwan le devança, répondant avec un pragmatisme que tous ne connaissaient désormais que trop bien. Même si officiellement, le prince était l'un des deux leaders de l'expédition, c'était bel et bien l'historien qui partageait officieusement le commandement avec Melody.

-Vous ne nous mettez pas en danger Laly. Nous sommes tous ici en ayant parfaitement conscience des risques que cela implique pour chacun d'entre nous. Mademoiselle Jennsen avait bien insisté sur ce point avant le départ, et il est maintenant trop tard pour faire demi-tour. Dans tous les cas, si nous ne trouvons pas Nigfol, nous sommes tous morts, alors il faut se faire au fait que je danger est notre quotidien désormais...

Les Monts Pourpres. Ils n'avaient qu'à se retourner, emprunter le sentier, et leur épopée dans ces sommets légendaires commencerait. Passer par en haut était le seul moyen d'éviter les chutes de neiges trop importantes: le massif disposait d'un micro-climat légèrement plus chaud que celui de la région alentours. La traversée prendrait deux, peut-être trois semaine, et n'était pas sensée être dangereuses. Mais voilà: désormais, ils avaient des Ombres qui les traquaient. Vu la folie apparente des trois survivants, on pouvait se douter qu'ils ne lâcheraient pas l'affaire si facilement. Avec, en plus, l’agitation plus qu'inhabituelle des dragons à Hovo en cette période, cela faisait beaucoup de nouveaux facteurs totalement imprévisibles.

Llednar avait relevé quelque chose d'anormal dans la façon de parler de Laly. Le ton qu'elle avait employé en parlant des Ombres n'était pas celui de quelqu'un qui découvrait l'horreur ou qui en avait peur. Quelque part, c'était comme si elle en avait l'habitude, comme si ce n'était pas la première fois qu'elle voyais ces types. Bien sur, ce n'étaient encore que des suppositions dans l'esprit du jeune rôdeur, mais il devait veiller à ce qu'il n'y ait aucune taupe parmi eux. Ses principaux doutes étaient allés vers Geralt auparavant, mais il s'était finalement avéré que, vu ses actes à Wuhm, il avait participé à les sauver tous. Pouvait-on lui reprocher cela? Non, en aucun cas.

-Rien d'étrange, répondit-il à la question de Melody.

Snori et Irwan firent non de la tête pour signifier qu'il en était de même de leur côté. Zia eut quand à elle un temps d'hésitation. Geralt n'était pas clair. Il y avaient encore beaucoup trop d'incertitudes vis à vis de lui, mais, dans un sens, ils avaient une dette envers lui, et elle avait surtout peur de dire des âneries. Si elle commençait à accuser tout le monde à tort et à travers, elle allait finir par perdre toute sa crédibilité. Déjà qu'elle n'en avait pas beaucoup. Pour cette fois, elle se contenta de suivre le mouvement général et de répondre par la négative. La débat tourna par la suite autour du chariot laissé par Erlyn. Irwan se montrait tout particulièrement réticent.

-Erlyn fut un alchimiste. Bien des domaines de cette science me sont inconnus, et Danna seule sait ce qu'il a pu faire à cet engin!

Danna était une sorte d'équivalent de Reingleff pour l'Oran, et dans une moindre mesure pour Luuwr. Décrite comme étant la déesse créatrice de l'humanité, son culte restait assez présent, mais des expressions comme celles employées par l'historien étaient tout simplement entrées dans le jargon populaire.

-Irwan, enfin, ce n'est qu'un chariot!

-Avec des loups des Monts Pourpres, dressés au combat. Tu as vu toi-même ce que ces bêtes ont fait aux ramourgues de guerre des Ombres!

Les "débats" entre les deux hommes pouvaient durer très, très longtemps...

-Messieurs, pourriez vous cesser de tergiverser? Pour ma part, je n’apprécie pas les cadeaux d'un tueur sanguinaire. Je serais à la base de l'avis d'Irwan, mais vu notre situation actuelle, il serait mieux d'accepter la charrette. Nous n'avons plus beaucoup de vivres, et pas assez de chevaux pour nous tous...
Melody grimaça. Encore une fois, ils dépendaient d'Erlyn. De plus, la jeune femme commençait à appréhender sérieusement la traversée des monts pourpres... Le froid risquait de les ralentir et les affaiblir, ce qui rendrait la situation bien plaisante pour les trois ombres restantes...

Elevir s'était retiré, et soupesait son gain. Une énorme émeraude, avec la quelle il pourrait sans doute vivre tranquillement jusqu'à la fin de ses jours. Il avait réussi à la dérober au nez et à la barbe d'Iyoh, lorsqu'ils avaient fixé ce marché que le voleur n'avait pas respecté... Malgré toutes ces souffrances, il faut dire que cela valait le coup!