Nouvelle année Irwan Knell/Omer Gueldre

Omer Gueldre avait un regard assez rancunier quand il s'adressa à l'historien.

- Nous ne pouvons pas cracher sur leur aide. Mais je ne pense pas que, une fois la guerre gagnée, il faudra leur donner accès au trône. Le petit ne m'inspire pas du tout confiance... Et vous, qu'en pensez vous?

-Je suis d'accord, répondit Irwan. Mais la confiance, j'aimerais l'avoir dès maintenant, pas une fois qu'il nous aura trahi.

- Il faut de toute façon les placer sous bonne garde, jusqu'à ce que l'on soit sur de leurs intentions. Et jusqu'à ce qu'on voit les résultats des interventions de leurs hommes...

Le président se replongea dans ses notes sur le bureau, avant de reprendre, sinistrement :

- Vous avez lu le dernier rapport sur la guerre? On y fait mention de l'avancée des troupes Nailikannes sur pratiquement tous les fronts... Inès Vrag devra intervenir bientôt, si l'on veut renverser la vapeur...

À chaque fois qu'ils en venaient à parlementer sur la guerre, le sujet "Nigfol" revenait, inévitablement. Irwan appréciait Laly, la savait quelqu'un de talentueuse et de fondamentalement respectable, mais malheureusement, Omer avait raison.

-Il faudra que nous allions demander à mademoiselle Jennsen ce qu'il en est.

Il voulait dans tous les cas laisse un échappatoire à la révulseuse. La perdre, elle ainsi que son artéfact, aurait été catastrophique.

Gueldre approuva d'un signe de tête. Melody Jennsen était sans doute la seule porteuse d'artéfact au monde. Elle seule pouvait faire un pronostic fiable sur le niveau réel d'Inès Vrag.

- Il faudra lui demander avant son départ. Elle est envoyée pour une mission d'infiltration en territoire ennemi... Vous êtes au courant pour Erlyn Ehlkaÿd? Il serait intervenu sur le champs de bataille, et aurait permis à nos armées de récupérer une bonne partie de nos terres sur le front nord-est...

Irwan, entretenant bien des échanges épistolaires avec des dirigeants de l'armée luuwrienne, avait effectivement entendu parler de l'intervention d'Erlyn. Venu de son ancien compagnon, ce genre d'apparitions inexplicables et miraculeuses n'étaient même plus étonnantes.

-Oui, je sais cela. Omer, je vous laisse vous occuper de Melody et de Laly. Vous avez carte blanche quant à elles à présent.

Il ne voulait pas en arriver à cela, mais il était forcé d'admettre que l'aide des artéfacts devenait pour le moins urgente. Le président Gueldre serait en mesure de décider ce qu'il fallait en faire.

Omer Gueldre regarda son homologue, pensif. Lui qui, il y a peu, ne cédait rien en ce qui s'agissait d'Inès Vrag, admettait maintenant la nécessité de les faire intervenir dans la guerre.

- Nous verrons l'avis de mademoiselle Jennsen en ce qui s'agit de cela. Mais je pense en effet que leur présence au front devient nécessaire... Et...

Il hésita pendant un instant à poser la question, puis reprit :

- Qu'en est il de vos petits soucis avec votre roi?

Le sujet avait réussi à passer innaperçu jusque là, mais Irwan se doutait bien que tous les politiques ne tarderaient pas à remarquer l'absence du prince. Cela était encore frais, ne datait que de la veille, mais pesait déjà un certain poids. Tout en se demandant de quelle manière le président avait appris la nouvelle, il répondit:

-Le roi assumera ses responsabilités tôt ou tard. S'il a besoin de marquer une pause, alors je lui fais confiance.

Autant jouer la carte de la diplomatie...

Avec une touche de cynisme, le président Luuwrien répondit :

- Espérons que sa pause ne soit pas trop longue!

Puis il classa les nombreuses feuilles qui se trouvaient sur son bureau massif, et partit de la salle. Avant de disparaitre derrière la porte, il ajouta :

- N'oubliez pas la réunion demain! Une nouvelle bataille à mener contre les pires politiciens de notre espèce.

Au final, de tous les politiques qui s'affrontaient dans ces réunions, il n'avait confiance qu'en Irwan. Ils avaient beau s'opposer souvent sur les réformes et autres décisions à prendre, ils avaient tous les deux le poids des responsabilités sur les épaules...

Alors qu'il s'apprêtait à sortir, Omer Gueldre tomba nez à nez avec Melody. Puisqu'ils avaient tous les deux besoin du rapport de Melody, et qu'Omer devait annoncer la mission qui attendait la capitaine à Irwan et à elle même, il la fit rentrer. Sitôt que la jeune femme entra dans le bureau, elle salua d'une simple révérence l'historien, puis elle s'assit sous l'ordre du président.

- Mademoiselle Jennsen, vous tombez à pic! Que pensez vous de la formation d'Inès Vrag? Est elle prête?

La capitaine jeta un coup d'oeil à Irwan, puis à Gueldre, et répondit :

- Je ne pense pas qu'elle soit prête pour les batailles. Elle se débrouille bien dans les courts duels, et progresse vite dans ce domaine, mais rame énormément quand elle a face à elle plusieurs adversaires. Elle n'a pas non plus l'endurance nécessaire pour se battre plusieurs heures durant sur le champs de bataille... Il me faut plus de temps...

- Malheureusement, ni vous ni nous n'avons beaucoup de temps à attendre.

L'élu Luuwrien lança un coup d'oeil à Irwan, interrogateur...

Vu les expressions de l'expression de son visage, Melody ne semblait pas ravie d'apprendre la nouvelle. Elle et son supérieur cherchaient visiblement à trouver un appui en son nom, alors qu'il avait bien signalé à Omer qu'il avait désormais carte blanche.

-Cela me semble logique, dit-il simplement. Nous avons besoin de Laly sur le champ de bataille. Cela ne pourrait que l'entraîner, de toute façon, et à vos côtés mademoiselle Jennsen, elle ne risquera pas grand chose.

Il prononçait ces mots presque à contre-cœur, mais il fallait se rendre à l'évidence: une intervention de la porteuse de Nigfol renforcerait considérablement le moral des troupes, même si cette dite intervention ne devait être qu'éphémère. Sur le long terme, en revanche, il était évident que la jeune femme devrait connaître son artéfact dans les moindre recoins avant de passer à l'attaque. Cette solution constituait une alternative, sans doute la meilleure qu'ils puissent trouver pour le moment.

Même Irwan n'était plus un allié? Que fallait il faire pour se faire comprendre?

- Laissez moi encore un mois, après le retour de ma mission... A ce moment là, elle sera prête!

Gueldre toussa bruyamment, puis déclara :

- Hé bien de toute façon, vous partez demain à l'aube! Nous avons avancé la date de votre départ!

La capitaine tira une mine d'enterrement. Au moins, elle avait plus ou moins obtenu ce qu'elle voulait. L'élu Luuwrien reprit la parole, chuchotant presque cette fois :

- Votre mission sera de tuer le leader Nailikan, Igole Vrag! Théodore Shackebolt pense que neutraliser le dictateur pourrait suffisamment déstabiliser la guerre pour nous permettre la victoire!

Tuer Igole Vrag, ni plus ni moins, sans préparer la moindre structure derrière cela, laissant ainsi Nailika en proie au chaos le plus totale et à la rébellion la plus violente qui soit? En plus de n'avoir pas été concertée avec les membres du gouvernement oranien, l'idée de ce fameux Shackebolt mènerait leur alliance en proie à la défaite tout droit vers un précipice sans fond. Que Melody parte au front pour aider et remotiver les hommes, d'accord, mais s’embrigader dans une campagne des plus stupides possibles, hors de question! Tout en conservant cette calme froideur le définissant si bien, Irwan s'adressa d'un ton sec à son homologue.

-Il ne me semble pas avoir déjà entendu parler de cela, monsieur Gueldre...

Ils allaient devoir s'expliquer au plus vite...

Pendant que Melody restait silencieuse, mitigée face à ses chances de succès, Gueldre répondit au tac au tac :

- C'est bien normal, car c'est un secret au plus haut niveau. Presque personne dans les hautes sphères n'est au courant. Et quelques rares indics Nailikans de Shackebolt, tous dignes de confiances, aideront Melody, ainsi qu'un coéquipier de son choix, à agir. Nous avons pris cette décision depuis que nous avons remarqué que le dictateur s'était fait agresser par un de ses généraux, sans qu'aucune mesure n'est pu être prise pour arrêter le traître! La logistique est telle que notre capitaine favorite ne prendra sans doute pratiquement aucun risque!

Le plan avait effectivement bien des chances de marcher, mais en valait-il la peine? Tout cela n'allait qu'aggraver les choses.

-Ce serait une bêtise, Omer. Je ne doute pas de la fiabilité de vos hommes ou des compétences de mademoiselle Jennsen, mais nous commettrions la même erreur en privant le peuple nailikan de son gourou. Lorsqu'Igole sera mort, que se passera-t-il? Un général prendra le pouvoir, et continuera cette guerre, de façon bien plus sanglante. Igole fait des prisonniers, mais ne tue pas de civils. Il conquêt, mais ne détruit pas. Plus que tout, il unifie un peuple de guerriers. Avec un fou, ce qu'il n'est pas, à la tête de Nailika, ce serait la fin pour nous.

L'historien avait en partie raison. Vrag pouvait très bien être remplacé par un général. Mais puisqu'il y avait une quinzaine de généraux, il y aurait forcément des luttes de pouvoir.

- Nous avons bien étudié la position de chacun des généraux qui pourraient prendre le pouvoir. Et aucun n'a l'influence nécessaire pour cela. On assistera avec quasi-certitude a un grand conflit entre les chefs des armées, qui résultera sur une division des troupes adverses, peut être au retrait et même à l'affrontement de certaines unités entre elles. Et de toute façon, dans le pire des cas, le peuple Nailikan cessera de soutenir l'armée et se révoltera, face à ce qu'il pensera être une prise de pouvoir non-légitime!

À travers ce petit débat qui s'installait, le soucis majeur de ce plan se dégageait très clairement: l'incertitude. Nul ne pouvait prédire avec certitude ce qu'il se passerait dans l'éventuelle réussite de l'opération, somme toute assez suicidaire. Même si Melody restait très forte, elle ne pouvait strictement rien faire face à une armée entière, d'autant que les derniers rapports quant aux unités mécaniques nailikanes étaient inquiétants.

-Melody est luuwrienne, c'est à vous qu'il revient de décider, mais sachez que je n'approuve pas cette intervention.

- Moi non plus précisa Melody d'une voix plus faible qu'à son habitude

Gueldre regarda son homologue et la capitaine, puis dit :

- De toute façon, l'opération est déjà prévue, il n'est plus possible de revenir en arrière. Mademoiselle Jennsen, cela va très bien se passer, ne vous en faites pas! Vous avez juste le temps de vous préparer avant de partir à l'aube demain! Bonne chance.

La jeune femme grimaça, puis partit sans un mot. Les ordres étaient les ordres...