Arrivée à Hovo

Le navire voguait sur les eaux calmes depuis bientôt quatre jours et quatre nuit. Le soleil peinait à s'éveiller, à l'instar de Snori, qui avait encore passé une majeure partie de sa soirée à entraîner Zia. Désormais, il en était plus que persuadé: elle était prête. Il avait également prit le temps de s'occuper vaguement des autres, notamment d'Oloren et plus rapidement de Jin, mais c'était bel et bien avec son élève attitrée qu'il avait passé le plus de temps. Et malgré tout, elle l'inquiétait. Elle semblait avoir perdu ce grand sourire qui la caractérisait, étant d'un sérieux presque scolaire qui ne lui ressemblait pas. Il avait tenté plusieurs fois d'aller la questionner à ce sujet, mais elle avait constamment prétendu que tout allait bien, et il n'avait pas insisté même s'il n'avait pas été convaincu pour un sou.

Irwan avait passé beaucoup de temps à observer tout le monde, plus particulièrement Alix comme Melody l'avait souhaité. La petite tapissière semblait effectivement avoir quelques capacités exploitables. Il voulait vérifier si elle était également douée d'un talent quelconque pour le dessin ou l'écriture, et s'en chargerait très prochainement. Pendant ces quelques jours, il avait également répondu aux questions de chacun, et s'il ne s'était pas vraiment immiscé dans le groupe, chacun commençaient à voir quel valeur et quel rôle il devait y jouer. Llednar avait été le moins visible de tous. Durant la quasi-totalité de la traversée, il était resté enfermé dans sa cabine, attendant qu'ils accostent sans rien faire, se joignant rarement à quelques entraînements qu'il ne suivait pas vraiment, ne se rendant qu'à de très rares occurrences aux repas communs. Lev, en revanche, avait été beaucoup plus présent. Le petit rapace commençait à s'habituer à la présence des autres membres du groupe, notamment de Fushy et d'Oloren, mais aussi et surtout de Laly, qu'il continuait de surveiller du mieux qu'il pouvait.

-ON VA ACCOSTER!!

Le capitaine avait gardé la forme. Jamais, au cours de ce voyage, il ne s'était plaint de quoi que ce soit. Véritable homme à tout faire, partout à la fois, il s'était lié d'amitié avec tous les membres de l'expédition grâce à son caractère enjoué et ses blagues anti-comiques qui avaient le don de d'étendre l'atmosphère quand c'était nécessaire. C'était désormais le grand jour. Dans la cale, les chevaux attendaient. Ils y en avait un pour chaque membre du groupe, et trois autres étaient attelés à un chariot pouvant transporter quatre ou cinq personnes. Dans un boucan titanesque, le navire se stoppa, sur les rives de l'Hovo.

L'équipage arrivait donc dans le port d'Hovo. Pour Laly, cette traversée avait semblé durer une éternité : elle n'avait pas parlé à grand monde, et surtout pas à Melody ou à Maître Sushi avec qui les relations étaient de plus en plus tendues. Elle avait fait quelques progrès non négligeables lors des combats à l'épée, mais pas assez pour se confronter à Snori, à la militaire ou à Zia. Par contre, face à un lapin ou à un troll, elle était persuadée qu'elle l'emporterait à plate couture. Après tout, c'était déjà ça. Du bateau, le haut des Monts Pourpres n'était pas visible, mais le paysage était déjà assez impressionnant : Hovo n'avait pas grand chose à voir avec Luuwr, Nora ou même Nailika. Dans un souffle, Laly murmura.

- Nous y voilà ...

Alix avait été fidèle à elle même pendant le reste du voyage en mer : délurée. Son caractère un peu à part faisait d'elle quelqu'un d'apprécié, mais aussi de légèrement agaçant. Sous les yeux d'Irwan, elle se mêlait sans retenue aux autres membres de l'équipage, parlant de tout, de rien, de ses mésaventures ou de ses crises de fous rires. Elle s'extasiait de n'importe quoi, donnant même parfois une impression sur-joué, et posait tout un tas de questions. Lorsqu'elle avait failli tomber à l'eau, qu'elle avait fait brûler le dîner ou qu'elle s'était accidentellement enfermée dans la cale, elle avait toujours la même manière de s'excuser. Qu'importe les déboires, qu'importe les gaffes, son sourire la sauvait toujours. Un sourire sincère et éclatant.
A présent, Hovo se tenait fièrement face à elle, et la jeune fille en avait presque les larmes aux yeux tellement tout cela était différent de sa vie d'avant. L'aventure commençait ... Maintenant.

Melody sortit de sa cabine. Elle s'était équipée pour pouvoir réellement débuter le voyage. A présent, l'essentiel était sur elle. Le reste serait sur son cheval. Elle portait deux épées sur le dos. Son traditionnel sabre polyvalent, ainsi qu'une épée plus lourde, à double tranchant, bien plus lourde à manier, mais aussi bien plus offensive. Ses vêtements étaient composés d'un pantalon en cuir solide, avec une chemise blanche simple, et un long manteau noir équipé de nombreuses poches intérieures recouvrait le tout. Elle s'était attaché les cheveux en une longue natte. Elle aperçu le petit village côtier. Il n'avait pas l'air très développé, comme elle s'y attendait. Elle descendit directement dans les rues, à la suite d'Oloren. Elle se demandait quels dialectes parlaient les gens ici.

Elevir sortit de la modeste maison dans laquelle il avait réussi à se faire inviter. Après avoir galamment embrassé l'épouse sur la main, remercié chaleureusement le mari, il se dirigea vers le port. Un bateau venait d'arriver. Il observait les passagers, et reconnu instantanément le prince Snori, ainsi que le bras droit du roi, Irwan. Il s'était souvent invité dans le palais de Nora, systématiquement déguisé. Ainsi, à moins que Snori et Irwan aient une particulièrement bonne mémoire, et l'observent longuement, il semblait fortement improbable qu'ils le reconnaissent. Il se demanda ce que fichait une tête presque couronnée dans un bled paumé d'Hovo. Surtout en pleine guerre... Lui même n'avait qu'une hâte. Partir! Il lui manquait néanmoins la somme nécessaire à son embarquement. Le bateau du prince pourrait peut être lui être utile...

Un à un, les membres de l'expédition commençaient à sortir du navire, après avoir rassemblés tout ce dont ils avaient besoin et avoir mis leur effets personnels dans la chariot. L'un des marins faisait débarquer tous les chevaux, de bonne race, chacun d'entre eux valant son petit pesant d'or. Certains ici n'avaient jamais eu l'occasion de chevaucher quelque monture que ce soit, mais Llednar avait assuré que cela n'avait rien de bien compliqué. Snori tout particulièrement était assez pressé de découvrir les tenants de l'équitation, mais ce ne serrait pas pour tout de suite. Il fallait tout d'abord définir le chemin qu'ils allaient prendre en se basant sur leur connaissance du territoire et les quelques informations qu'ils avaient sur des éventuels déplacements de troupes ennemies. Ils ne s'étaient pas encore concertés à ce sujet, mais le principal problème était l'arrivée de la saison froide, et l'éventuelle obligation de passer par les Monts Pourpres, ce qui représentait un danger non négligeable mais surement inévitable.

Zia et le prince étaient vêtu presque de la même manière. C'était un matière entre le tissu épais et le cuir souple, à la fois chaud, résistant et surtout qui n'entravait pas les mouvements. Snori avait décidé de ne prendre avec lui que ses armes favorites parmi tout le panel qui lui était proposé. De toute façon, il était inutile de s'encombrer alors qu'il pouvait vaincre avec ce qu'il avait sur lui. C'était dans cet état d'esprit, optimiste, qu'il mit pied à terre en s'étirant. L'air avait une odeur particulière, à mi-chemin entre celle de la mer que l'on pouvait humer à Nora, et celle de l'herbe coupée des grandes praires de Luuwr. Le mélange que cela formait était un simple délice, allié aux couleurs uniques représentative de ce pays idyllique. Il comptait bien profiter de ce voyage, qu'il espérait ne pas être le dernier, loin de là. Irwan, lui, était toujours si terre à terre. En pénétrant ici, ils violaient en temps de guerre la neutralité de cet état, et cela donnait une bonne raison à ses habitants de les dénoncer à Nailika, d'autant que leurs ennemis s'étaient tenus à leur frontière côté Est.

Llednar était sorti de sa cabine et était encore sur le pont, Lev sur son épaule. Ils scrutait une dernière fois la mer. Il n'aimait pas trop ce paysage ci. Les grandes étendues bleus, ce n'était pas sa tasse de thé. Une fois qu'il aurait accomplit sa quête, il s'installerait en plein centre d'Hovo, et il ne reverrait peut être pas ce paysage. Alors, même s'il ne l'appréciait pas, il l'observait, pour s'en souvenir. L'historien s'approchait de lui sans faire le moindre bruit, et, son carnet à la main, fixa l'horizon avec lui.

-Llednar. Je ne sais pas qui tu es ni d'où tu viens, ni quelles sont tes motivations. Tu as l'air de cacher quelque chose, quelque chose qui ne me concerne pas, et donc je ne te poserais pas de questions là dessus. Mais, sans plus de transparence, et je pense pouvoir ici parler au nom de beaucoup, tu n'aura pas notre confiance. Je ne sais pas à quoi tu joues ni ce que tu fais ici, mais je t'ai à l'oeil petit.

Le jeune homme tourna la tête vers son interlocuteur. Lui, qui était toujours plongé dans ses observations, ses dessins et ses écrits, il lui demandait d'être plus transparent. Des répliques cyniques, il en avait tout le tour du ventre pour répondre à ce type qui se donnait des grands airs, mais il se tut. Au bout de quelques secondes, il tourna les talons, allant lui aussi poser le pied sur la terre de cette contrée dont tous parlaient depuis des jours. Irwan poussa un soupir d'agacement. Il était trop jeune, n'avait pas assez d'expérience pour comprendre les tenants de ce qu'il essayait de lui faire comprendre. Cela viendrait, peut-être...

-Maître Fushy! cria-t-il en appuyant ironiquement sur le mot "maître".Il serrait peut-être temps de descendre, nous sommes arrivé.

Zia était un peu à l'écart du groupe, n'osant rien dire ni faire, évitant soigneusement les regards de Snori quand il tentait de la dévisager. Ce dernier se tourna vers Laly.

-Je pourrais voir la carte s'il te plaît?

Tout le monde savait que la révulseuse possédait la seule carte du monde qu'ils avaient en leur possession, et celle-ci était d'une extrême précision. Plusieurs villages d'Hovo y étaient même répertoriés. Une telle chose valait une véritable fortune. Personne ne savait, en revanche, qu'elle appartenait initialement à Llednar.

Laly regarda Snori d'abord avec surprise, puis se souvint qu'elle était la seule à avoir une carte digne de ce nom. Elle l'avait d'ailleurs caché dans la doublure de sa tunique rouge, qu'elle s'empressa de tendre au prince Pendragon, avec un sourire discret. Inconsciemment, elle regarda par dessus l'épaule de l'héritier, et se gratta le cou. Elle était mal à l'aise, mais fît son possible pour ne pas le montrer à ses camarades.

- Hum ... Je ne m'étais pas rendue compte qu'on allait devoir entrer en territoire nailikan ... Mais attention, je ne suis pas découragée ni quoi que ce soit. C'est juste que ça ne va pas être simple, mais les défis, ça se relève.

Alix avait été époustouflée par la petite démonstration d'Oloren : c'était vraiment impressionnant. Puis, elle s'allongea dans l'herbe, puis regarda les nuages : ils ressemblaient à de gros dragons ...

Jin était sous le charme d'Hovo. Elle qui n'avait connu que Nora, ce paysage lui coupa le souffle. Elle descendit lentement du bateau, s'assurant qu'elle n'avait rien oublié et jeta un dernier coup d'oeil derrière elle... L'aventure commençait ici. Elle s'avança vers le petit groupe qui était regroupé autour de la carte de Laly. Elle fit en sorte de se placer à côté de Melody pour lui parler de sa place dans la mission.

-Ecoute Melody, je sais que tu voulais me déposer ici pour que rien ne m'arrive et je te remercie d'y avoir pensé. Cependant, je sens que ma place est auprès de vous. Je me suis longtemps entraînée au combat pendant le voyage et je suis volontaire ! Alors si Snori et toi êtes d'accord, je veux faire partie officiellement de cette expédition !

Ses dernière paroles avait été prononcé sur un ton sec, pour montrer à Melody que Jin savait ce qu'elle voulait. Mais elle se doutait bien que la militaire ne se laisserait pas aussi facilement convaincre... Et comment réagiront les autres membres en apprenant son insertion ? Elle ne préférait pas y penser. Pour l'heure, il fallait la convaincre.

Fushy descendit de son mat et alla rejoindre le petit groupe d'aventurier. Durant la fin du voyage, il avait passé le plus clair de son temps sur son mat, qui était de loin le meilleur endroit pour méditer sur se bateau. Il s'approcha d'Irwan.

-Pourquoi tant d'ironie dans vos propos Irwan ? Avez vous décidé d'être désagréable ?

Fushy se mit sur le bord du chariot, attendant le départ de la troupe. Il se mit alors à contempler le paysage autour de lui qui était bien différent de Nora ou de sa caverne ou il avait environ 60 ans à méditer.

Melody regarda Jin, à peine surprise... Elle avait l'impression de se répéter énormément, ces temps ci. Elle devait encore et toujours dire "Oui ou non" à tout ceux qui voulaient rejoindre ce groupe... Et encore, quand son avis était pris en compte. Cela en devenait extrêmement lassant. Elle appréciait beaucoup Jin, mais elle était tout de même exaspérée... "J'en ai assez que vous me posiez toutes cette question... Trouve moi des bons arguments" dit elle, cassante

Elevir, quant à lui, observait toujours le groupe, dans tous les détails. Il avait perfectionné le déguisement qu'il portait actuellement. Il prit donc le risque de se rapprocher pour écouter les conversations. Il se rapprocha d'un étalage de marché, et commença à négocier pour des fruits. Il arrivait à suivre deux conversations en même temps... D'ici peu, il saurait ce que faisait cet étrange assortiment de personnes dans un bled aussi paumé.

Snori, au milieu du groupe, avait ouvert la carte intégralement. Ils avaient là un bon nombre d'informations essentielles qui modèleraient leur voyage, notamment quant aux reliefs et à la localisation de certains villages un peu plus importants que les autres dans lesquels ils pourraient faire des pauses. Plus tôt, Zia leur avait affirmé qu'ils ne trouveraient jamais la moindre auberge, mais qu'ils auraient l'hospitalité de n'importe qui pour peu qu'ils se montrent sympathiques et qu'ils remboursent la dette qu'ils auraient envers leurs hébergeurs. Il replia la carte et s’immisça dans les discutions en cours.

-Ne vous en faites pas Laly, nous ne serrons en territoire Nailikan qu'à la toute fin de notre périple. Enfin, si tout se passe bien. Melody, pour ma part, je pense qu'il faut les laisser intégrer ce voyage. Même s'ils ne sont pas nécessairement les plus compétents, ils ont prouvé leur honnêteté. Et puis, rien ne les empêchera de nous quitter en cours de route si le coeur leur en dit.

Il parlait bien entendu au nom des trois concernés, Jin, Alix et Fushy.

Laly sourît : Snori continuait à la vouvoyer, mais tout cela devait être comme une seconde nature chez lui, vis à vis de son éducation et de son milieu social. La jeune femme prît donc la sage décision de ne plus le reprendre à ce propos. Les choses allaient se faire naturellement.

- Tout se passera absolument bien.

Seulement, la jeune femme n'en était pas spécialement convaincue. Elle avait peur qu'on la découvre, surtout que le petit groupe ne passait pas vraiment inaperçue. Elle releva son capuchon avec méfiance : les espions pouvaient être partout, et ce n'était pas le moment de se faire remarquer. Pas du tout. Pour l'instant, l'environnement avait l'air d'être relativement serein. Mais était-ce réellement le cas ?

Alix, quant à elle, était étrangement calme. Elle ne sautait plus partout comme une folle, ne disait plus des âneries pour amuser la galerie et ne faisait pas le moindre gaffe. Non, elle était assise tranquillement. Et elle regardait les alentours avec des grands yeux d'enfant.

Melody regarda Snori, puis Jin, puis acquiesça. De toute façon, que pouvait elle y faire? Sans doute rien... En tout cas, pour l'instant, ils devaient décider de la marche à suivre pour atteindre l'artéfact. Et ce n'était pas debout qu'ils allaient décider de cela. "Vous ne voulez pas qu'on se trouve un endroit où s'asseoir, avant de sortir la carte, comme ça, au grès du vent et des gens?"

Snori s'amusait de voir Melody perdre toute cette hargne qui était la sienne. Finalement, elle était de moins en moins dure envers tout le monde, et elle avait compris ce qu'il voulait dire quand il affirmait qu'il fallait laisser sa chance à tout le monde. Du moins, c'était ce qu'il pensait. Elle avait raison sur un point: il allait être nécessaire de se poser sur quelque chose de concret. Depuis quelques jours, malgré un confort existant, le fait que le navire tangue avait été assez désagréable pour chacun.

Plus loin, le marchand qui faisait face à Elevir s'impatientait. En général, le troc était de mise à Hovo, mais les vendeurs ambulants acceptaient volontiers la monnaie car ils échangeaient beaucoup avec les voyageurs et les étrangers. La façon de négocier de son client ne lui plaisait pas.

-Va donc chercher tes fruits ailleurs, hülye, lui dit-il.

Cette vieille insulte qui relevait au final plus du juron était tirée tout droit d'un ancien dialecte d'Hovo. Elle avait été déformée au fil du temps, mais exprimait toujours la même chose: le mépris. Le petit groupe se dirigeait vers la taverne locale, surement la seule à bien des kilomètres aux alentours. Snori partit le dernier, saluant chaleureusement le capitaine avec qui il avait beaucoup échangé durant ce voyage. Il était convenu que cet homme revienne avec son navire dans deux mois, et reste à Hovo un mois de plus au cas où l'expédition aurait du retard. Par la suite, ils devraient se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer, mais il semblait à tous que s'ils s'éternisaient plus d'un trimestre, c'est qu'ils auraient de sérieux problèmes et qu'ils serraient certainement morts. Le prince alla enfin rejoindre ses camarades, et le serveur s'approcha de la table sur laquelle ils s'étaient installés.

-Alors, qu'est-ce que je vous sers?

Dans sa vie, Alix n'avait mangé que trois aliments : des radis, des potirons et des pommes de terre. Elle ne connaissait que l'eau et n'avait jamais trempé ses lèvres dans le moindre alcool. Et, à ce moment précis, un monsieur lui demandait ce qu'elle voulait, tout ce qu'elle avait toujours rêvé de manger était à portée de main : il suffisait de dire un mot.
Pourtant, elle n'avait pas envie d'un repas compliqué ou de quelque chose de particulier. Il fallait juste faire taire cet estomac qui gargouillait depuis déjà plus de trois heures. Elle regarda l'écriteau au dessus de comptoir, et tenta de déchiffrer les mots qui y étaient inscrits.

- Je vais prendre un ... "Plat du four".

Laly ne se rendit même pas compte de la coquille d'Alix. Elle ne se sentait vraiment pas à l'aise dans cet endroit, pas du tout, ce qui avait le don de couper son appétit. Elle répondît juste :

- Juste un whisky, s'il vous plaît.

Elle croisa le regard interloqué de certains de ses camarades, ainsi que celui du serveur. Qui avait-il donc d'anormal à commander un alcool fort dès l'aurore ?

- C'est nécessaire : la route va être longue.

Fushy s'assit à la table et dit.

-Rien pour moi.

Il sortit une des fioles de sa veste et la bu d'une traite. Ce fut grâce à ses fioles qu'il put rester si longtemps dans la grotte, la totalité provenant de sa Coliore. Il était impatient que l'expédition commence enfin, il n'aimait pas les tavernes, lieux de rencontre des alcooliques.

Elevir éclata de rire face à cette demande atypique. Il avait devancé le groupe, en s'installant avant eux devant le comptoir de l'auberge, et Laly se trouvait juste à sa droite. Il clama haut et fort : "On peut dire que vous êtes originale, charmante demoiselle!", puis il lança deux pièces d'argent sur le comptoir, attrapa l'épaule de la jeune femme pour s'aider à se relever, en profita pour fouiller très largement dans ses poches et prendre la carte, ainsi que la bourse de Laly, et sortit du lieu, tout en faisant une révérence à l'ensemble des personnes présentes. Une fois dehors, il se dirigea vers le port. Avec un peu de chance, la somme trouvée lui permettrait de rentrer à Nora, ainsi que de rembourser quelques unes de ses dettes là bas.

Jin eu un pincement au cœur en entendant la réponse de Melody. Elle allait ouvrir la bouche pour lui répondre mais le prince l'accepta ainsi qu'Alix et Fushy. Elle le remercia en hochant la tête avant de suivre le groupe qui se dirigeait vers un bar. La jeune femme eut l'impression de revenir en arrière, a Nora, comme si rien n'avait changé. Soudain le malaise se fit sentir au creux de son ventre et de son cœur. Quand le serveur s'approcha d'elle pour lui prendre sa commande, elle hésita quelques secondes avant de répondre :

-Seulement un café, fort de préférence.

Elle but une gorgée du précieux liquide avant de se tourner vers ses coéquipiers

-Bon, on va où maintenant ? Dit elle avec un grand sourire.
Décidément, Jin était de plus en plus excitée à l'idée de pouvoir réellement commence cette grande aventure !

Cet homme avait l'air d'un filou de première, ce qui ne rassurait pas Laly : la jeune femme gardait les dents et les poings serrés, lançant un regard accusateur à cet étranger.
Malheureusement pour lui, la dépouille aurait pu passer inaperçue si la révulseuse n'était pas particulièrement sensible au contact. Elle avait horreur d'être touchée d'une quelconque façon, même d'être frôlée. Ce bonhomme n'avait pas non plus l'allure d'un pickpocket hors pair, et Laly comprit aussitôt que quelque chose de louche venait de se produire. Lorsqu'il franchît la porte de la taverne, elle regarda immédiatement le contenu de ses poches, et constata sans grande surprise la disparition de sa bourse, mais surtout de l'unique carte de l'équipage.

- Merde, merde, merde !

Sans rien ajouter à ce discours déjà constructif, elle empoigna son arc et ses flèches, partant à la poursuite de ce malotru. A quelques mètres de lui, qui était une distance raisonnable pour tirer à l'arc sans se rater, Laly visa. Dans une vitesse folle, la flèche passa à quelques centimètres de sa cible, produisant l'effet de surprise du voleur. La jeune femme partit à sa poursuite, dégainant déjà sa dague, qui pouvait aisément se rendre utile dans un tel moment. A cet instant, elle se promettait une chose : jamais plus elle ne laisserait quelqu'un se mettre en travers de son chemin. Jamais.

Melody vit Laly partir en courant, à la poursuite de l'homme qui venait de l'accoster. Elle se dit que la jeune femme réagissait un peu tard, si elle trouvait qu'il lui avait manqué de respect. En effet, elle aurait tout de suite écrasé le visage de l'impudent contre le comptoir, plutôt que d'attendre que celui ci parte! Enfin, quoi qu'il arrive, la consommation de la révulseuse ne serait pas perdu. Melody prit sans hésiter le verre de Bourbon que lui tendait le tenancier, puis humecta ses lèvres. Un vingts ans d'âge, au moins! Laly ne savait pas ce qu'elle ratait...

Elevir resta totalement immobile, attendant que la jeune femme se rapproche. Il ne s'attendait pas à une réaction aussi rapide. De manière générale, les gens ne remarquaient le forfait qu'une dizaine de minutes après. Lorsque sa "cliente" fut assez près d'elle, il lui demanda, avec un air de pur innocence : "Mais enfin, mademoiselle! Que me voulez vous? Je n'ai pourtant rien fait pour mériter de telles menaces!". La femme, véritablement hystérique, s'apprêtant à répondre, le voleur sortit de ses grandes poches deux outres remplies d'une encre noire, qu'il lui vida sur le visage. L'instant d'après, il avait tourné dans une ruelle, mis son manteau à l'envers et l'avait refermé entièrement, s'était revêtue d'une perruque de cheveux blancs, et avait ôté ses chaussures. Il eu même le temps de prendre un bout de charbon et de se l'étaler sur le visage. Il ressemblait désormais à un authentique mendiant. Alors qu'il s'éloignait à petits pas de la ruelle, il se félicita d'avoir pris dans ces gourdes de l'encre extraite de pieuvres. Ainsi, il avait neutralisé le danger en quelques instants, et sans pour autant prendre la vie de son adversaire

Snori n'avait pas eu la moindre réaction vis à vis de ce qu'il venait de se passer. À vrai dire, il ne s'était initialement même pas rendu compte du larcin, trop occupé à tailler le bout de gras avec le serveur. Décidément, le prince attisait la sympathie de tout le monde, à un tel point que cela en devenait presque agaçant. Le serveur regardait Fushy avec un drôle d'oeil, mais ne lui fit rien remarquer. Après tout, chacun était libre de faire ce qu'il voulait. Du moment que tout le monde y trouvait au final son compte, il pouvait bien pardonner cette légère impolitesse. Lorsque le prince remarqua enfin que quelque chose s'était passé, Laly, Melody et Llednar n'étaient déjà plus dans l'établissement.

Ce dernier avait très bien compris l'urgence de la situation. Sans la carte, pas d'expédition, et sans expédition, il pouvait dire adieu à Nino. C'était tout bonnement hors de questions. Il s'agissait de poursuivre quelqu'un? C'était là son domaine. Il se doutait qu'il ne servirait pas beaucoup lors des éventuels combat, mais il se rendrait utile aujourd'hui.

-Lev.

L'aigle s'envola, à la recherche du voleur qu'il put trouver très facilement: d'en haut, on voyait absolument tout. Il était avec Laly, mais semblait lui avoir faussé compagnie. Lev se mit à former des grands cercles autour de l'homme qu'il avait suivi depuis le début: ainsi, même déguisé, il le reconnaissait. Llednar monta sur la première habitation qu'il perçut et s'accroupit sur le toit tout en continuant d'avancer. Selon Lev, le voleur était cette homme aux cheveux blancs. Il ne ressemblait pourtant en rien à ce type du bar...mais il fallait faire confiance à son compagnon. Le jeune homme continua d'observer discrètement sa cible, attendant de voir son comportement pour décider s'il était bien celui qui avait dérobé leur carte.

L'encre jetée à son visage faisait presque pleurer Laly, de douleur, mais aussi de rage. Lorsqu'elle regarda autour d'elle, le voleur avait déjà pris la fuite. Sur le coup, elle ne savait pas trop comment réagir face à cette mascarade. La pauvre révulseuse n'avait même pas pris le temps d'enlever l'encre de son visage, qui semblait être indélébile, au grand damne de la jeune femme. Inconsciemment, elle leva les yeux au ciel et vît l'aigle qu'elle ne connaissait que trop bien, celui qu'elle avait eu envie d'empailler à de nombreuses reprises. Pour la première fois, elle était heureuse de voir ce "maudit piaf de malheur".

- Lev !

Étant donné qu'il n'était plus aux alentours de son maître, elle supposa à juste titre qu'il était là pour l'aider. Elle avança à sa rencontre, lorsqu'elle vit un homme, la tête baissée et les cheveux blancs. Elle ne lui aurait pas porté plus d'attention s'il n'avait pas l'air si suspect et si secret. Elle devait être à trois mètres de lui quand elle le regarda plus amplement. Sa mémoire photographique ne la trompait pas : c'était l'homme du bar. Ni une, ni deux, elle s'approcha de lui, l'air innocent.

- Mon pauvre monsieur, quelle tristesse de voir des gens comme vous, de vraies victimes de cette sale époque ...

Plus aucun doute possible : c'était lui. Elle lui ôta sa perruque, et croisa son regard. Elle glissa sa main dans sa poche, y trouvant bien sûr ses effets personnels. Sa bourse ... Mais surtout la carte qui les mènera à Nigfol. Elle les remît en sécurité, dans la doublure de sa tunique, en quatrième vitesse.

- Sauf quand les mendiants mentent, volent et trompent ! Si vous le voulez bien, je reprends ce qui me revient, abruti.

Elle le prit par le col, le souleva et le plaque contre le mur : la colère donnait à Laly une force démesurée.

- Écoute moi bien, sale cafard, si je n'étais pas face à une population, à des enfants et à des êtres bons, je t'aurais déjà tranché la gorge. Je déteste peser mes mots, je déteste ne pas dire ce que je pense et être compréhensive avec des ordures comme toi. Dans quelques secondes, on va sûrement me dire que je dois me calmer, ce que je ferai, mais je tiens à ce que tu saches le fond de ma pensée. Tu n'aurais jamais, jamais, jamais dû me prendre pour victime, car je ne suis la victime de personne. Tu es un être méprisable, mais tu m'indiffères trop pour que je te déteste. Tu es simplement pitoyable.

Elle le lâcha, s'écartant un peu de lui. Il allait peut-être s'enfuir ou riposter, mais qu'importe. Même si son discours était incisif, elle avait l'air sacrément ridicule avec tout cette encre sur son visage.

Llednar descendit de son toit, bouchant au voleur toute tentative d’échappatoire: il était cerné. Il était peut être doué dans son domaine, mais il n'avait pas pris en compte la présence de Lev dans l'équipe. Erreur fatale. Sous sa cape, le jeune homme était prêt à dégainer une arme, au cas où. Il aurait pu demander à Laly de garder son sang froid, mais il ne la comprenait que trop bien; rien n'était plus insupportable que de se faire voler ce qui nous appartenait, on se sentait nu suite à ça. Quel paradoxe pour le voleur qu'il était de penser cela...

-Il faut qu'on y aille nous aussi! affirmait Snori, toujours à la taverne.

Zia était déjà prête à se lever, mais Irwan intervint.

Je ne pense pas que Melody, Laly et Llednar auront de soucis face à un seul brigand...en revanche, je tiens à aller voir ce qu'il se passe là-bas. Oh, garçon, préparez moi un bon remontant pour mon retour, vous serrez gentil.

Le serveur fit une mine dépitée. Entre ce vieillard qui ne consommait pas et ce type étrange aux allures et au ton d'aristocrates, il voyait du beau monde aujourd'hui. Il y avait des jours comme ça où il ne valait mieux pas réfléchir. Il engloutit lui aussi un verre d'alcool assez serré, puis alla préparer les commandes...avant de se rendre compte de ce que la gamine avait dit. Plat du four. Il se retourna vers elle, interloqué.

-Vous avez demandé un plat du four?

Irwan se déplaçait tranquillement dans les minuscules ruelles qui formaient ce village ridicule, dans lequel il y avait au maximum cinquante personnes, dont la moitié étaient des marchands qui troquaient leurs marchandises contre celles de leurs homologues. Il retrouva assez facilement ses compagnons, qui n'avaient pas tarder pour rattraper le voleur. Ce dernier était en bien mauvaise posture...Laly en colère, ce n'était pas de tout repos. Il décelait dans ses traits quelque chose d'étrange, de presque familier. Très vite, ce fut le déclic.

-Tiens donc. Quel heureux hasard, monsieur Geralt Augustus en personne...

- Oh Irwan! Fit Elevir avec un grand sourire ça fait un bout de temps qu'on ne s'est pas vu! Excuse moi, je ne suis pas présentable pour le moment! Il faut que je m'arrange un peu!

Le voleur arrangea un peu sa tenu. Il avait vraiment été mis à mal par Laly, mais il n'en avait cure! Il fallait être bon joueur, lorsqu'on était cleptomane. Par contre, le fait de revoir Irwan était nettement plus dérangeant... En effet, il devait à l'historien quelques dettes qu'il n'avait surement pas oublié. Il avait aussi remarqué l'aigle et son détenteur. Il avait vu la froide détermination dans leurs yeux. Et cerise sur le gateau, il remarqua la porteuse de Belwur, la renommée Melody Jennsen. Avec tout ça, il sentait qu'il s'était mis dans de beaux draps.

Il reprit la parole, toujours aussi sur de lui, tout au moins en apparence : "Sinon, que fais tu de beau ici Irwan? Et en aussi bonne compagnie". Il fit un léger clin d'oeil à Melody et Laly. Cette dernière avait encore de l'encre sur le visage, mais il se demandait si elle n'allait pas s'évaporer tant Laly fulminait...

- Eh bien oui, un plat du four, monsieur le serveur. C'est marqué sur l'ardoise au dessus de votre comptoir. Vous ne savez pas vous même ce que vous écrivez ? Parce que moi, je l'ai lu. Oui parce que ... je sais lire.

Elle avait dans sa voix une certaine fierté. Elle savait lire ... Enfin, plus ou moins. Elle n'était pas sortie avec les autres, pour une excellente raison : elle voulait voir ce qu'était le plat de four.

Laly agitait sa tête de gauche à droite, de droite à gauche, d'Irwan à "Geralt", de "Geralt" à Irwan. Pire que tout, elle était abasourdie par les propos totalement inappropriés de ce cher délinquant. "Je ne suis pas présentable". "Ça fait un bout de temps qu'on ne s'est pas vu". Ce mec était soit un guignol, soit un hypocrite, soit un malade mental, soit un peu des trois. La jeune femme bouillonnait littéralement.

- En charmante compagnie ?! Non mais c'est ahurissant ! Vous venez délibérément de me voler ma seule richesse, et vous avez accompagné votre délit d'une espèce de méthode de drague foireuse ! Et puis, vu que j'avais vu clair dans votre manège, j'ai voulu vous rattraper et vous m'avez lancer de l'encre dégoûtante et indélébile sur la tronche ! Là, et ce grâce à un animal, j'arrive à mes fins, je sauve ma peau et récupère mes biens, et là ! Pouf ! Comme par magie, vous rencontrez Irwan, que vous connaissez déjà, et vous avez le culot et l'hypocrisie de dire que je suis de bonne compagnie ?! Non mais là, je nage dans le plus absurde des délires ...

Cet homme, Irwan l'avait déjà rencontré au palais de Nora il y a quelques années de cela. À l'époque, suite à plusieurs manques de respects et une prise en flagrant délit de larcin, il avait été emprisonné, et l'historien avait fait en sorte qu'il puisse sortir plusieurs mois avant la fin de sa peine. Il était alors convenu que Geralt avait une dette envers lui, une dette qu'il se devait de payer un jour ou l'autre. Melody était arrivée à son tour. Quoiqu'il tente, c'en était fini de lui, il avait perdu de façon lamentable.

-Nous débutons un voyage, Geralt, et non des moindres. Donne nous une bonne raison de te laisser la vie sauve...

Snori était en train de s'étouffer tant il riait. Alix semblait tellement sûre d'elle qu'il ne pouvait que plaindre ce pauvre serveur, qui se trouvait ce matin dans une situation bien compliquée. Pourtant, il ne perdait pas son sang froid et gardait tout son professionnalisme. Il en avait vu des gens étranges dans cet établissement, et même si celle-ci était haut gradée dans son classement de l'insolite, ce n'était pas une raison pour se laisser emporter.

-Je pense que vous voulez dire "plat du jour". C'est le genre de choses que l'on mange au déjeuner, mademoiselle. Nous pouvons vous servir des petits-déjeuners complets, si vous le souhaitez. Enfin, c'est vous qui choisissez.